La séance du Conseil privé s'achève. Il entend Lacuée, le ministre de l'Administration de la guerre, lancer à haute voix :
- L'Autriche n'est plus une grande puissance.
Napoléon se lève.
- On voit bien, monsieur, que vous n'étiez pas à Wagram, dit-il avec mépris.
Eugène, le mardi 6 février, revient de l'ambassade d'Autriche.
Napoléon le dévisage. Eugène ne laisse rien paraître de la réponse de Schwarzenberg. Napoléon interrompt son long récit de l'entrevue avec l'ambassadeur. Oui ou non ? demande-t-il.
Oui, dit Eugène.
C'est donc fait. Napoléon gesticule. Il éclate de rire. Il va et vient à grands pas dans son cabinet de travail. Il serre les poings.
Il convoque Berthier et Champagny. Le contrat de mariage doit être immédiatement établi. Il faut que tout soit fait en quelques jours. On signera un contrat ici, à Paris, et un autre à Vienne, où sera célébré un mariage par procuration. Berthier représentera l'Empereur.
Je veux qu'elle soit ici avant la fin du mois de mars afin que le mariage soit célébré dans les premiers jours d'avril.
Il se tourne vers Champagny.
- Vous viendrez demain à mon lever. Portez-moi le contrat de Louis XVI et l'historique.
Il est dans la continuité des règnes, de Clovis au Comité de salut public. Il est le neveu de Louis XVI.
- Écrivez ce soir au prince Schwarzenberg pour lui donner rendez-vous demain à midi.
Il retient Champagny au moment où celui-ci s'apprête à s'éloigner. Il faut, maintenant que l'on est sûr de tenir le mariage autrichien, se dégager d'Alexandre Ier
.Napoléon prise, jubile. Belle manœuvre en deux temps, comme un piège tendu sur le champ de bataille. On va paraître se rendre d'abord aux arguments avancés par le tsar. Sa sœur Anne est trop jeune, a-t-il dit ? Donnons-lui raison.
Napoléon dicte la lettre que Champagny adressera à Caulaincourt pour Sa Majesté l'empereur du Nord : « La princesse Anne n'étant pas encore réglée, et les filles pouvant rester deux à trois années entre les premiers signes de la nubilité et la maturité, cela ferait plus de trois années sans fécondité. » Ce serait un trop long délai. Et, comme le souligne le tsar, resterait en outre la question religieuse.
Cette première lettre à Alexandre doit partir bientôt.
- Demain au soir, reprend Napoléon, quand vous aurez signé avec le prince Schwarzenberg, vous expédierez un second courrier pour faire connaître que je me suis décidé pour l'Autrichienne.
Il veut, il doit, tout voir, tout contrôler.
- On enverra de Paris le trousseau et la corbeille. Il est inutile qu'on fasse rien à Vienne, dit-il à l'ambassadeur de France en Autriche, Otto.
Il veut voir les fichus, les manteaux de cour, les peignoirs, les bonnets de nuit, les robes, les bijoux, une grande parure en diamants et de nombreux brillants.
Il convoque les artistes. Ainsi seront les chaussures de l'archiduchesse Marie-Louise, précise-t-il.
Il exige qu'Hortense lui donne des leçons de danse.
- Il faut à présent que je devienne aimable. Mon air sérieux et sévère ne plairait pas à une jeune femme. Elle doit aimer les plaisirs de son âge. Voyons, Hortense, vous êtes notre Terpsichore, apprenez-moi à valser.
Il s'y essaie. Il se sent maladroit, ridicule. Il quitte le salon.
- Laissons à chaque âge ce qui lui est propre, dit-il. Je suis trop vieux. D'ailleurs je vois que ce n'est pas par la danse que je dois briller.
Le matin, il se regarde longuement dans le miroir pendant que Constant et Roustam s'affairent autour de lui. Il est bedonnant déjà. Les cheveux sont devenus rares. Il fait appeler Corvisart, et dès que le médecin est entré il l'interroge, sans même le regarder.
Jusqu'à quel âge un homme peut-il conserver sa puissance en matière de paternité ? Soixante, soixante-dix ans ?
Cela se peut, répond prudemment Corvisart.
Cela sera. Mais comment est-elle, cette Autrichienne ? Il ne dispose que de quelques médaillons, d'un dessin représentant Marie-Louise. Il veut parler aux officiers qui l'ont vue à la cour de Vienne. Sa taille ? Son teint ? La couleur de ses cheveux ?