Il prise. Il a une grimace de mépris. Il faut être aveuglé pour penser cela. Ce qu'il a toujours voulu, c'est calmer cette mer rendue furieuse par la Révolution, l'assagir en gardant ce qu'elle avait fait naître, ces principes nouveaux, et cela, c'est le Code civil, mais il faut aussi la contenir par les principes monarchiques, l'Empire ou cette alliance avec les dynasties.
- Rien ne m'a paru plus propre à calmer les inquiétudes que de demander en mariage une archiduchesse autrichienne, reprend Napoléon.
« Jamais, insiste-t-il, nous n'avons été aussi proches de la paix. »
D'un geste rapide, il écarte les dépêches qui sont posées sur la table de travail. Il reste l'Espagne. Mais il compte s'y rendre, le mariage scellé. L'Italie, elle, est calme, le pape maté, réduit à ce qu'il doit être, un évêque dépouillé de tout pouvoir temporel. « Son royaume n'est pas de ce monde. » Et, quant à l'Église de France, elle sera gallicane, comme sous Louis XIV.
Il fait quelques pas, le visage tout à coup sombre. Reste le bel allié du Nord, Alexandre Ier
.Napoléon prend la dernière dépêche de Caulaincourt. L'ambassadeur, morose, demande son rappel. Il fait état du mécontentement russe.
- Je trouve ridicules les plaintes que fait la Russie ! s'exclame Napoléon. Le tsar me méconnaît lorsqu'il pense qu'il y a eu double négociation : je suis trop fort pour cela ! Ce n'est que quand il a été clair que l'empereur de Russie n'était pas maître dans sa famille et qu'il ne tenait pas les promesses faites à Erfurt que l'on a négocié avec l'Autriche, négociation qui a été commencée et terminée en vingt-quatre heures parce que l'Autriche avait envoyé toutes les autorisations à son ministre pour s'en servir dans l'événement.
On lui a livré Marie-Louise sans hésiter.
Mais il ne se contente pas d'un corps de jeune femme. Il veut son esprit, son cœur. Il a besoin, pour lui-même, de passion.
Il pense à cela en épuisant son corps dans la chasse ou bien en se rendant à des fêtes.
Il entre dans le magnifique hôtel du comte Marescalchi, ambassadeur du roi d'Italie -
L'hôtel de Marescalchi, situé au coin de l'avenue Montaigne et de l'avenue des Champs-Élysées, est rempli d'une foule d'invités costumés et masqués. On s'observe pour essayer de se reconnaître.
Napoléon s'appuie au bras de Duroc. Tout à coup il étouffe, se retire dans un petit salon où se trouve un officier qu'il reconnaît, le chef d'escadron Marbot. De l'eau glacée, vite, demande-t-il. Il défaille. Il s'asperge le front et la nuque. Une femme entre, interpelle Marbot.
- Il faut pourtant que je parle à l'Empereur, dit-elle. Il faut absolument qu'il double ma pension. Je sais bien qu'on a cherché à me nuire, que dans ma jeunesse j'ai eu des amants ! Eh ! parbleu, il suffit d'écouter ce qui se dit là-bas dans l'entre-deux des croisées pour comprendre que chacun y est avec sa chacune ! D'ailleurs, ses sœurs n'ont-elles pas des amants ? N'a-t-il pas des maîtresses, lui ? Que vient-il faire ici, si ce n'est pour causer plus librement avec de jolies femmes...
Napoléon se lève. Il passe devant la femme, déguisée en bergère avec une tresse blonde qui lui tombe jusqu'aux talons. Il veillera à ce qu'on éloigne cette bavarde insolente de Paris ! Il y a ainsi dans la capitale une dizaine d'acariâtres qui répandent leur venin.
C'est vrai qu'il est venu chez Marescalchi aussi parce que s'y trouvait, il le sait, Christine de Mathis. Mais cette vie-là doit être maintenant effacée, Marie-Louise doit être tenue dans l'ignorance de tout cela. Elle ne doit même pas penser qu'il a été avant elle l'époux d'une femme.
Il convoque Fouché.