« Mais cela ne doit pas être, reprend-il. Le maréchal Berthier, prince de Neuchâtel, prendra vos ordres pendant votre voyage... Je n'ai qu'une pensée, c'est de connaître ce qui peut vous être agréable. Le soin de vous plaire, Madame, sera la plus constante et la plus douce affaire de ma vie.
« Napoléon »
Quand ? Quand ? Il bouscule Constant. Pourquoi faut-il attendre encore un mois ?
Il se sent une telle énergie que parfois il s'étonne de cette furie qui le pousse à chasser presque chaque jour, à aller d'un palais à l'autre, des Tuileries à Saint-Cloud, de Compiègne à Rambouillet ou à Fontainebleau.
Il parcourt les pièces au pas de charge. Il s'arrête. Il faut qu'on décroche ces tableaux qui rappellent une défaite autrichienne. Les appartements doivent être tendus de cachemire des Indes. Les meubles, tous les meubles, seront changés. Rien ne doit rappeler qu'ici a vécu une autre femme. Tout doit être neuf pour celle qui est neuve.
Il tente d'imaginer la vie avec elle. Il veut une étiquette aussi stricte que celle de la cour de Louis XIV. Il se tourne vers son grand chambellan, le comte de Montesquiou Fezensac. Quatre femmes, de bonne noblesse, monteront la garde autour de l'Impératrice. Il n'y aura jamais de tête-à-tête entre un homme, quel qu'il soit, et Sa Majesté.
Il s'éloigne, bougon.
- L'adultère est une affaire de canapé, dit-il.
Il sait ce qu'il en est de la fidélité. Enlevons les hommes et les canapés, et les épouses resteront fidèles !
Mais on ne conserve une place que si l'on convainc ses habitants qu'on est le meilleur prince. Il faut que Marie-Louise lui soit attachée. Il faut que l'amour qu'elle lui porte soit tel qu'elle n'éprouve que le besoin de le voir, qu'il soit seul à occuper vraiment ses pensées.
Il lui écrit, pour agir sur elle, puisque c'est tout ce qu'il peut faire même s'il sait qu'elle s'est mise en route après le mariage par procuration et les fêtes données en son honneur à Vienne. Mais ce cortège de cent voitures mettra plus de dix jours pour parvenir jusqu'à Paris.
Et de savoir qu'elle s'approche alors qu'il est là à l'attendre est encore plus insupportable.
« J'espère que Votre Majesté recevra cette lettre à Brunau et même au-delà, écrit-il. Je compte les moments, les jours me paraissent longs ; cela sera ainsi jusqu'à celui où j'aurai le bonheur de vous recevoir... Croyez qu'il n'est personne sur la terre qui vous soit attaché et veuille vous aimer comme moi.
« Napoléon
« Le 10 mars 1810 »
De temps à autre il perçoit l'étonnement sur les visages des aides de camp, de son secrétaire, de ses sœurs. Il pourrait se contenter, pensent-ils sûrement, d'être satisfait de ce mariage politique. Il est maintenant allié comme un Bourbon aux Habsbourg. Cette union boucle le réseau qu'il a voulu tisser entre les membres de sa famille et les dynasties régnantes, celle de Wurtemberg pour Jérôme, de Bavière pour Eugène, de Pauline avec le prince Borghèse. Il est devenu le « frère », le « cousin » de tous ceux qui règnent en Europe.
- Je suis le neveu de Louis XVI, mon pauvre oncle, murmure-t-il devant le ministre des Relations extérieures, Champagny.
« Les principaux moyens dont se servaient les Anglais, poursuit-il, pour rallumer la guerre du continent, c'était de supposer qu'il était dans mes intentions de détrôner les dynasties. »