Il hésite. C'est comme au moment d'une bataille, quand il faut choisir de lancer les escadrons sur l'aile gauche ou sur l'aile droite.
Le lundi 29 janvier, Napoléon décide de réunir aux Tuileries un grand Conseil privé.
Il prend place sur l'estrade, face à cette assemblée chamarrée. Il voit à sa gauche les présidents du Sénat et du Corps législatif, les ministres, son oncle le cardinal Fesch, archevêque de Paris, les grands officiers de l'Empire, et, à sa droite, les rois et les reines. Murat est au premier rang, assis à côté d'Eugène. Fouché s'est placé loin de Talleyrand le Blafard.
- Je puis, commence Napoléon, épouser une princesse de Russie, d'Autriche, de Saxe, de l'une des Maisons souveraines d'Allemagne, ou bien une Française.
- Il ne tient qu'à moi de désigner celle qui passera la première sous l'Arc de triomphe pour entrer à Paris, ajoute-t-il.
Il tend la main. Que chacun s'exprime.
C'est donc Lebrun qui ose parler le premier. Mais l'archi-trésorier a choisi la prudence. Il est partisan d'une princesse saxonne. Murat, furibond, emporté, dit ce que l'Empereur attend qu'il dise : l'Autrichienne rappellera le souvenir de Marie-Antoinette, la nation la détestait, un rapprochement avec l'Ancien Régime éloignerait les cœurs attachés à l'Empire sans conquérir ceux des nobles du faubourg Saint-Germain. Il faut épouser une princesse russe, conclut Murat.
Murat a parlé fort. Eugène est favorable à l'Autrichienne. Et voici Talleyrand le vénal, le Blafard, qui de sa voix calme approuve Eugène. « Pour absoudre la France aux yeux de l'Europe et à ses propres yeux d'un crime qui n'était pas le sien et qui n'appartient qu'à une faction », dit-il, il faut épouser une Habsbourg. Et Fontanes, le grand maître de l'Université, de surenchérir : « L'alliance de Votre Majesté avec une fille de la Maison d'Autriche sera un acte expiatoire de la part de la France. »
Napoléon se penche, chuchote à Cambacérès, assis près de lui en qualité d'archichancelier :
- On est donc bien joyeux de mon mariage ? J'entends, c'est qu'on suppose que le lion s'endormira ? Eh bien ! l'on se trompe.
Il hoche la tête.
Le sommeil, reprend-il, lui serait aussi doux peut-être qu'à tout autre ! Mais ne voyez-vous pas qu'avec l'air d'attaquer sans cesse je ne suis pourtant occupé qu'à me défendre ?
Il aperçoit tout à coup Fouché qui s'esquive sans avoir pris la parole. Prudent et habile Fouché, partisan comme tous les régicides du mariage russe. Mais préférant rester silencieux. Il devrait savoir pourtant qu'il ne reste que l'Autrichienne.
Il faut, conclut Napoléon, qu'Eugène se rende auprès du prince Charles de Schwarzenberg et obtienne de lui une réponse immédiate concernant cette jeune archiduchesse de dix-huit ans, Marie-Louise.
Pour la première fois, Napoléon s'interroge : belle ?
On ne lui a parlé que de son âge et de son éducation. Il veut savoir, maintenant.