Le dimanche 27 avril 1810 à 7 heures, il quitte Compiègne en compagnie de Marie-Louise. Il rit, il la réconforte. Elle est ensommeillée, fatiguée encore de ce changement de vie. Il aime qu'elle le regarde avec des yeux effarés qui disent : quel est cet homme inépuisable ? Il veut la montrer à ces pays du nord de son Empire qui furent jadis sous la domination autrichienne, qui verront une archiduchesse des Habsbourg aux côtés de leur Empereur.
Il donne le signal du départ aux six cents cavaliers de la Garde qui servent d'escorte à la longue suite de voitures où il a voulu que prennent place Eugène, les ministres, le roi Jérôme et la reine de Westphalie.
Il pleut. Les routes sont boueuses, les réceptions à Anvers, Breda, Bergen op Zoom, Middelburg, Gand, Bruges, Ostende, Dunkerque, Lille, Le Havre, Rouen, sont interminables.
Il observe Marie-Louise. Elle ne sait ni sourire à ceux qui lui délivrent leur message de bienvenue ni flatter ces notables qui attendent un signe de reconnaissance qui marquera leur vie. Il se souvient du talent qu'avait Joséphine pour séduire tous ceux qui l'approchaient. Ce souvenir l'irrite. Il s'emporte contre Louis, qu'il rencontre à Anvers et qui expose avec un mélange de naïveté et de suffisance les négociations qu'il a ouvertes en compagnie de Fouché et d'Ouvrard avec l'Angleterre.
Il hurle. Qui leur en a donné le droit ?
Heureusement, il y a les nuits, les promenades au bord de la mer, la gaieté de Marie-Louise lorsque déferlent les longues vagues de la marée. Il y a la joie, qui durant quelques jours envahit Napoléon quand Marie-Louise imagine qu'elle est enceinte.
Mais au retour à Paris, le vendredi 1er
juin, il la voit s'approcher, pâle, boudeuse, secouant la tête. Elle n'aura pas d'enfant cette fois-ci !Il s'isole. Il est déçu. C'est comme s'il se réveillait et découvrait qu'il ne s'était agi que d'un rêve.
Sur sa table, il reconnaît une lettre de Joséphine, plaintive, humble, celle d'une vieille femme malade. Il doit répondre.
« Mon amie, je reçois ta lettre, Eugène te donnera des nouvelles de mon voyage et de l'Impératrice. J'approuve fort que tu ailles aux eaux. J'espère qu'elles te feront du bien.
« Je désire te voir. Si tu es à la Malmaison, à la fin du mois, je viendrai te voir. Je compte être à Saint-Cloud.
« Ma santé est fort bonne, il me manque de te savoir contente et bien portante.
« Ne doute jamais de toute la vérité de mes sentiments pour toi ; ils dureront autant que moi ; tu serais fort injuste si tu en doutais.
« Napoléon »
Il se fait communiquer les autres dépêches, convoque Cambacérès. Il lit, écoute. Il est furieux. Voilà deux mois seulement qu'il a un peu lâché les rênes, deux mois pour lui, était-ce trop ? Il lui semble que tous les ressorts de l'Empire se sont détendus.
Il veut, demain, une réunion du Conseil des ministres au château de Saint-Cloud.
Il les voit, ce samedi 2 avril, prendre place comme des élèves fautifs, à l'exception de Fouché, plus pâle seulement qu'à l'habitude. Celui-là a du caractère, mais qui peut avoir confiance en lui ?