Il observe Marie-Louise. Il ne quitte pas ses yeux écarquillés. Une haie de troupes borde la route de la porte Maillot aux Tuileries. Les cavaliers de la Garde caracolent. Partout la foule. Sur l'esplanade de Chaillot, elle est massée dans deux vastes amphithéâtres. Les salves d'artillerie ponctuent la marche du cortège. Il se penche vers Marie-Louise pour mieux saisir sa surprise devant l'arc de triomphe de l'Étoile, sous lequel ils vont passer. Il a voulu que le monument à peine commencé soit achevé à l'aide de charpentes et de toiles afin que l'illusion soit parfaite. Il est fier. C'est la capitale dont il est le maître.
Elle n'a jamais vu les Tuileries, le Louvre. Le soleil illumine les vitres, éclaire les galeries où se pressent près de dix mille personnes. Il reconnaît le prince Kourakine, l'ambassadeur de Russie, qui fait bonne figure. Voici Metternich, triomphant.
Il entre dans le salon carré transformé en chapelle. Tout à coup, il a chaud sous sa toque de velours noir, son manteau et sa culotte de satin blanc. Il se sent engoncé dans ses vêtements couverts de diamants. Il voit Marie-Louise, rouge sous sa couronne, près de défaillir. Que le cardinal Fesch commence afin que cette cérémonie du mariage religieux soit la plus brève possible. Il a hâte d'en finir. Il aperçoit des sièges vides, ceux des évêques, qui, par fidélité au pape et pour protester contre les mesures prises contre lui, ont refusé d'assister à la cérémonie. Il se sent envahi par la colère.
Il veut que Bigot de Préameneu, ministre des Cultes, convoque ces cardinaux, qu'il les inculpe d'injure grave, qu'il leur interdise tout signe extérieur de dignité épiscopale, qu'ils deviennent des « cardinaux noirs » comme des corbeaux.
« Moi seul dans mon Empire, je désigne les évêques... Ce n'est pas le pape qui est César, c'est moi ! Les papes ont fait trop de sottises pour se croire infaillibles. Je ne souffrirai pas ces prétentions, le siècle où nous vivons ne les souffrira pas ! Le pape n'est pas le grand lama. Le régime de l'Église n'est pas arbitraire. Si le pape veut être le grand lama, dans ce cas je ne suis pas de sa religion. »
Il passe, sombre, dans la galerie, et il sent autour de lui la surprise que suscite sa physionomie.
On ouvre les portes qui donnent sur le jardin. L'air vif enfin ! La Garde défile. Les grenadiers agitent leurs bonnets placés au bout de leurs sabres. Ils crient : « Vive l'Impératrice ! Vive l'Empereur ! »
Il serre les poings.
- J'enverrai cent mille hommes à Rome si cela est nécessaire, murmure-t-il.
Il entraîne Marie-Louise, débarrassée de son manteau et de sa couronne, vers la salle de spectacle où doit se tenir le banquet.
Mais il faut encore s'asseoir sur l'estrade, à la table placée sous le dais, puis se présenter au balcon, assister au feu d'artifice, répondre aux acclamations de la foule. Il faut se contenter de la regarder cependant que les grands aumôniers de France et d'Italie bénissent le lit.
Napoléon ne peut s'empêcher, d'un geste vif, de les renvoyer.
Les portes sont refermées, enfin !
Elle est exténuée. Et il se sent vigoureux, jeune, conquérant.
Il est son Empereur, son maître.
Il oublie tout ce qui n'est pas cette chambre, cette jeune femme.
Il veut jouir d'être avec elle tout au long de la journée. Il n'a jamais vécu cela. C'est comme si le temps avait changé de rythme. Il décide de quitter les Tuileries pour Compiègne. Il y sera mieux pour jouir d'elle. Il écarte les aides de camp qui apportent des dépêches. Il fait attendre plusieurs jours Murat, qui sollicite en vain une audience. Il parcourt les nouvelles en provenance d'Espagne. Joseph se désespère. Le général Suchet n'a pu conquérir Valence. Berthier interroge : quand donc l'Empereur prendra-t-il la tête de ses armées pour en finir avec le « chancre de cette guerre d'Espagne » ?
Il ne veut pas quitter Marie-Louise. Il convoque Masséna, le nomme à la tête de l'armée. N'est-il pas « l'Enfant chéri de la Victoire » ? Masséna doit être capable de bousculer les trente mille Anglais de Wellington et les cinquante mille Portugais que le général anglais a formés.
Il voit s'éloigner Masséna. Il regarde dans le parc du château Marie-Louise qui essaie, entourée de ses dames d'honneur, de monter à cheval. Il rit de ses maladresses. Il se précipite. Il se sent léger, insouciant. A-t-il jamais connu cette impression de n'avoir aucun devoir sinon celui de s'amuser, de donner et de prendre du plaisir ? Est-ce cela, la vie ?