Napoléon revient lentement vers Fouché. Il n'a rien décidé encore. Il a simplement demandé à son chambellan, M. de Tournon, de se rendre à Madrid afin d'apporter une réponse à Charles IV et de se renseigner sur l'état du pays, de son armée, des postes qu'elle occupe, et aussi de bien examiner l'opinion du pays.
Monsieur le duc d'Otrante est-il satisfait ?
Fouché, lentement, lève le bras, montre son portefeuille qu'il tient à la main. Il veut lire un mémoire à Sa Majesté, dit-il. C'est l'objet de sa visite.
- Lire ?
Napoléon s'assoit et fait un signe.
Fouché commence à lire de sa voix métallique.
Napoléon écoute Fouché qui dit, sans lever les yeux, qu'il est nécessaire pour le bien de l'Empire de dissoudre le mariage de l'Empereur, de former immédiatement un nouveau nœud plus assorti et plus doux, et de donner un héritier au trône sur lequel la providence a fait monter l'Empereur.
Fouché se tait enfin, referme le portefeuille.
Que répondre ?
Les mots manquent. Fouché a toujours la pensée acérée. Il devine et pressent.
Napoléon congédie Fouché.
Il a besoin d'être seul.
Ce divorce, il y pense sans cesse. Quand il regarde Joséphine, triste le plus souvent, comme accablée depuis la mort de son petit-fils, Napoléon-Charles.
Autour d'elle, Caroline et Pauline, et sa mère aussi, sont des rapaces qui guettent le moment où viendra enfin la répudiation. D'ailleurs, on se détourne déjà de Joséphine, on préfère le salon que tient Caroline Murat à l'Élysée, et où complotent Fouché, Talleyrand, qui veulent tous le divorce.
Mais Napoléon n'avait pas imaginé que Fouché eût pu avoir une telle audace.
C'est Fouché qui doit répandre dans Paris ces rumeurs que rapportent les espions de police. Le divorce est décidé, répète-t-on dans les salons. Napoléon hésite, observe Joséphine tout au long de ces soirées où elle préside les dîners ou son cercle. Elle est émouvante dans ce désespoir qu'elle n'arrive pas à masquer. Elle lui jette parfois des regards de noyée.
Il détourne la tête, quitte le salon, s'enferme.
Que peut-il ? Adopter le comte Léon ? Il a revu l'enfant d'Éléonore Denuelle, vigoureux et éveillé. Il l'a pris dans ses bras. Il a été ému, irrité par le bavardage prétentieux d'Éléonore. Il veut bien cet enfant mais il ne veut pas de cette mère-là. Il ne peut pas. Il est l'Empereur. Il lui faut une mère et un fils qui soient à la hauteur de sa dynastie. Aurait-il donc mieux marié ses frères qu'il ne l'est, lui ?
Il se rebelle.
Il chasse pour que le vent de la course dans la forêt balaie cette obsession qui l'habite.
Lorsqu'il rentre au château, Joséphine est là qui l'attend, tassée, les yeux remplis de larmes. Fouché lui a parlé dans l'embrasure d'une fenêtre, au moment où elle revenait de la messe. Il l'a invitée - oh, après mille détours - à accomplir, a-t-il dit, le « plus sublime et en même temps le plus inévitable des sacrifices ». Ce sont les mots qu'il a employés. A-t-il parlé sur l'ordre de l'Empereur ? demande-t-elle. Napoléon veut-il la répudier ?
Il la regarde longuement. Il se souvient de ce qu'elle a été pour lui. Il la prend dans ses bras.
Fouché a agi de sa propre initiative, murmure-t-il.
Qu'il le chasse, alors, dit-elle en se serrant contre lui.
Il s'écarte. Fouché a agi pour des raisons politiques, explique-t-il sans la regarder. Comprendra-t-elle qu'en disant cela, qu'en refusant de renvoyer Fouché, il dévoile ses pensées ? Mais il ne peut pas, il ne veut pas encore se séparer d'elle.
Il revient vers elle, la rassure.
Il choisira seul le moment. Il décidera seul.
Le jeudi 5 novembre 1807, quand il rentre à son cabinet de travail après cette nuit passée avec Joséphine, il écrit, faisant de nombreuses taches sur la feuille, tant il trace vite les mots :