- Je vais étonner l'Allemagne par cette magnificence, dit-il.
Il chantonne, récite quelque vers de
Il les répète.
- C'est excellent, et surtout pour ces Allemands qui restent toujours sur les mêmes idées et qui parlent encore de la mort du duc d'Enghien, dit-il. Il faut agrandir leur morale.
La route est à nouveau dégagée, le temps est beau, sec et froid. Les villages se découpent sur un horizon bleu.
- On donnera donc
Il ferme les yeux.
C'est une partie serrée qu'il va jouer. Il doit en être à la fois l'ordonnateur et le vainqueur. Il a invité les rois de Saxe, de Wurtemberg et de Bavière, les princes, les grands-ducs et ducs d'Allemagne et de Pologne, les diplomates, les maréchaux, Oudinot, Davout, Lannes, Berthier, Mortier, Suchet, Lauriston, Savary, Soult. Et naturellement Champagny. Talleyrand sera là comme grand chambellan.
C'est cela, l'enjeu.
- Nous allons à Erfurt, murmure-t-il. Je veux en revenir libre de faire en Espagne ce que je voudrai ; je veux être sûr que l'Autriche sera inquiète et contenue.
Il a hâte d'arriver à Erfurt où Talleyrand doit déjà être installé. Il s'interroge. A-t-il eu raison de confier au prince de Bénévent le soin de rédiger un projet de traité avec Alexandre Ier
, afin de renouveler l'alliance de Tilsit et de prévoir une intervention russe contre l'Autriche si celle-ci menace la France ?On arrive à Châlons. Il est 20 heures. Il s'enferme avec Méneval, examine les textes préparés par Talleyrand. Le prince de Bénévent semble avoir oublié le passage du traité qui, précisément, concerne l'Autriche ! Alors que c'était là l'article essentiel.
Il a un pressentiment.
Il dicte une dépêche pour le maréchal Oudinot, qui doit rassembler à Erfurt, en vue des parades qui se dérouleront devant l'empereur Alexandre, les escadrons les plus prestigieux.
« Je veux, avant de commencer la négociation, que l'empereur Alexandre soit ébloui par le spectacle de ma puissance. Il n'y a point de négociation que cela ne rende plus facile. »
Il passe par Metz, Kaiserslautern, Mayence, Kassel, Francfort. Il ne dort que quelques heures, reprenant la route à 4 heures, dans la nuit. Il s'arrête pour assister à une revue de troupes. Il faut qu'on le voie. Mais, après Francfort, il ne quitte plus sa berline de toute la journée du lundi 26 septembre, et il roule encore toute la nuit.
Le matin, à 9 heures, en compagnie du général Berthier, il entre enfin dans Erfurt, cette enclave française dans la Confédération du Rhin.
La voiture longe la rivière Gera, les escadrons de la Garde l'entourent. La foule se presse déjà autour du palais du Lieutenant de l'Électeur de Mayence, devenu l'hôtel du Gouvernement. Là sera la résidence impériale. Il voit les troupes qui sont rangées sur la place voisine, le Hirschgarden.
Il salue à peine les maréchaux, lance des ordres, dicte une lettre à Cambacérès. Mais il ne veut pas perdre de temps. Il lui faut influencer chacun des participants à cette réunion. Il se rend auprès du roi de Saxe. Mais c'est Alexandre qu'il doit amener à ses vues.
À 14 heures, il est à cheval. Les montures des maréchaux qui l'entourent piaffent. L'escadron de la Garde se tient en arrière cependant que le cortège s'avance sur la route de Weimar à la rencontre du tsar.
Les premiers instants vont être aussi décisifs que le premier engagement d'une bataille.