L'archiduc Charles rassemble ses troupes. Une milice bourgeoise remplace l'armée régulière à Vienne. L'archiduc s'apprête à lancer un manifeste aux peuples allemands pour les appeler à se soulever contre l'Empereur. Des négociateurs anglais sont à Vienne afin de préparer un traité d'alliance entre l'Angleterre et l'Autriche. Londres fournira les crédits nécessaires à la guerre.
Napoléon ne commente pas.
Au Tyrol, les Autrichiens poussent les populations à se soulever contre la Bavière. Les paysans sont fanatisés par le capucin Haspinger. On cite le nom d'un chef de guerre populaire, Andreas Hofer. Vienne procure les armes.
Il renvoie Andréossy.
Combien de jours encore avant de quitter la France pour retrouver les bivouacs, les pluies, la boue, voir les soldats morts ? Et entendre crier les blessés ?
Il rentre aux Tuileries. Il le faut. Mais l'atmosphère du palais lui pèse. Les galeries, les salons, les cercles de la cour sont silencieux comme si l'on veillait un agonisant.
Il lit un rapport secret que lui envoie Joseph Fiévée, l'un de ces observateurs à gages dont il dispose dans tous les milieux. Celui-ci était royaliste, mais depuis des années il espionne, analyse, écoute pour l'Empereur. L'homme est pénétrant d'intelligence, ses oreilles traînent partout.
« La France est malade d'inquiétude », écrit-il. On se répète dans les salons du faubourg Saint-Germain la phrase d'un dignitaire qu'on ne nomme pas. Peut-être s'agit-il de Decrès, le ministre de la Marine, à moins que ce ne soit Talleyrand. Il a confié : « L'Empereur est fou, absolument fou, il se perdra et nous perdra, nous avec lui. »
Napoléon jette le rapport de Fiévée dans la cheminée.
Il retourne vers la table. Il reconnaît l'écriture de cette supplique. M. René de Chateaubriand demande une nouvelle fois la grâce de son cousin, Armand de Chateaubriand, pris sur une plage du Cotentin les poches bourrées de lettres d'émigrés réfugiés à Londres ou à Jersey et destinées aux royalistes gde Bretagne.
« La mort de son cousin donnera à M. de Chateaubriand l'occasion d'écrire quelques pages pathétiques qu'il lira dans le faubourg Saint-Germain. Les belles dames pleureront et cela le consolera ! » s'exclame-t-il.
Il se sent revenu aux temps difficiles. Point d'ovations quand il s'assied dans la loge impériale au Théâtre-Français. Des regards presque affolés, comme s'il était porteur d'une malédiction.
Il ricane.
Il brandit devant Roederer les registres militaires.
- Oui, je laisse à Joseph mes meilleures troupes, et je m'en vais à Vienne avec mes petits conscrits et mes grandes bottes !