À Saint-Maximin, il convoque le sous-préfet.
- Vous devez rougir de me voir en uniforme autrichien, dit-il. J'arrivais avec pleine confiance au milieu de vous, tandis que j'aurais dû emmener avec moi six mille hommes de ma Garde. Je ne trouve ici que des tas d'enragés qui menacent ma vie.
Il veut repartir aussitôt, gagner le département du Var, où on lui dit que les royalistes ne rencontrent que peu d'écho. Il passe dans sa voiture, regarde ce ciel limpide sous lequel il a chevauché de Toulon à Nice et lorsqu'il a débarqué à Fréjus, venant d'Égypte.
Tous ces souvenirs lui donnent la nausée.
Et voici Pauline, qui réside dans le château de Bouillédou, proche de Lucques.
Elle sanglote. Elle ne veut pas le voir ainsi déguisé en Autrichien. Il jette ses vêtements, revêt sa tenue de chasseur de la Garde, la serre enfin contre lui, la plus belle de ses sœurs. Ils parlent sans fin. Ils retournent à leurs origines, une île, Elbe, si proche de la Corse. Elle l'interroge, mais quand elle parle de Marie-Louise et du roi de Rome, il ne répond pas.
Il ne veut pas dire qu'il craint de ne plus les revoir.
Ils évoquent leurs frères, Jérôme, Joseph, qui ont, dit Pauline, l'intention de se rendre en Suisse, où Louis serait déjà arrivé. Leur mère est partie avec le cardinal Fesch pour Rome, où se trouve sans doute Lucien. Élisa est peut-être à Bologne. Caroline...
Il fait un geste. Il ne veut pas qu'on mentionne l'épouse de Murat, celle qui a poussé sûrement le roi de Naples à la trahison.
Pauline, en sanglots, dit qu'elle veut se rendre à l'île d'Elbe, vivre avec lui. Pauline la fidèle, alors que presque tous l'ont trahi. Il l'embrasse. Au bout de son destin, il retrouve la sœur qu'il aimait le plus. Comme si rien n'avait pu changer cela, presque comme si rien n'avait eu lieu dans leurs vies.
Le mercredi 27 avril 1814 à onze heures, il entre dans l'auberge du Chapeau Rouge, à Fréjus.
Rien n'a changé depuis ce mois d'octobre 1799 où, débarquant d'Égypte, il pénétrait dans cette salle, général maigre et déterminé, brûlé par le soleil, ayant échappé par miracle aux frégates anglaises.
Et aujourd'hui, c'est sur l'une d'elles, qu'il voit depuis la fenêtre de sa chambre mouiller dans la baie, qu'il va rejoindre l'île d'Elbe.
Il donne l'ordre de faire monter ses bagages à bord de
Une frégate française aurait dû assurer son transport, mais elle n'est pas encore arrivée, et après tout il se sent plus en sécurité à bord d'un navire anglais que sur un bateau où, peut-être, se sont glissés dans l'équipage des assassins que le comte d'Artois ou le prince de Bénévent ont pu recruter.
Il fait quelques pas sur les quais du port. La foule l'entoure avec respect.
Dans sa chambre, il reste longuement à la fenêtre. La mer. Si souvent il a longé ces côtes. Reconnaîtra-t-il encore, si la frégate passe la Corse, le parfum de l'île ?
Il aimerait revivre tout cela avec sa femme et son fils. En leur compagnie, il pourrait trouver la paix, dans ces paysages qui sont les siens.
Il commence à écrire.
« Ma bonne Louise,
« Je suis arrivé à Fréjus il y a deux heures. J'ai été très content de l'esprit de la France jusqu'à Avignon. Mais depuis Avignon, je les ai trouvés fort exaltés contre. J'ai été très content des commissaires, surtout du général autrichien et du Russe, fais-le savoir à ton père.
« Je pars dans deux heures pour l'île d'Elbe d'où je t'écrirai à mon arrivée. Ma santé est bonne, mon courage au-dessus de tout. Il ne serait affaibli que par l'idée que mon amie ne m'aime plus. Donne un baiser à mon fils.
« La princesse Pauline, qui est dans un château à deux heures d'ici, veut absolument venir à l'île d'Elbe pour me tenir compagnie, mais elle est si malade que j'ignore lorsqu'elle pourra faire le trajet.
« J'ai avec moi le grand maréchal Bertrand et mon aide de camp Drouot.
« Ton fidèle époux,
« Nap. »
Le départ tarde. Il demande au colonel Campbell, le commissaire anglais, de prévoir une frégate pour prendre Pauline « dans cinq ou six jours et la conduire à l'île d'Elbe ». Puis il écrit au général Dalesmes, qui commande l'île d'Elbe.
« Les circonstances m'ayant porté à renoncer au trône de France, écrit-il, sacrifiant ainsi mes droits au bien et aux intérêt de la patrie, je me suis réservé la souveraineté et propriété de l'île d'Elbe et des forts de Portoferraio et Porto Longone, ce qui a été consenti par toutes les puissances... Veuillez faire connaître ce nouvel état des choses aux habitants et le choix que j'ai fait de leur île pour mon séjour en considération de la douceur de leurs mœurs et de la bonté de leur climat. Ils seront l'objet constant de mon plus vif intérêt. »