Au-delà du Monte Giove, il découvre, au milieu d'un bois de châtaigniers, une chapelle et une masure, l'ermitage de la Madone, un lieu de pèlerinage. Il gravit des marches taillées dans les rochers et il est saisi par la beauté du panorama. Au soleil couchant, il aperçoit la Corse,
Il s'assied. Il pourrait vivre ici.
Il décide de passer là les journées les plus chaudes. Il choisit une cellule qui a été occupée par l'ermite. Une escouade de grenadiers pourra installer son bivouac en contrebas de l'ermitage. Le général Drouot occupera une autre cellule. Et si Madame Mère vient, comme elle le souhaite, elle occupera une maison du village de Marciana Alta, situé à quelques centaines de mètres sur la pente du Monte Giove.
Il lui suffit de quelques jours pour prendre possession d'un territoire,
Il se lève avant l'aube, lit, dicte.
« Faire arborer dimanche le pavillon de l'île dans toutes les communes et en faire une espèce de fête. »
« Témoigner mon mécontentement à l'intendant sur la malpropreté des rues. »
« Je désire que la commune fasse les frais d'un bal qu'elle donnera sur la place publique, où l'on construira une salle en bois, et que les officiers de la Garde impériale y soient invités. Aux environs de cette salle, on établira des orchestres pour faire danser les soldats et on aura soin de disposer quelques barriques de vin pour qu'ils puissent boire... »
Il s'arrête.
C'est le lever du soleil. Il va jusqu'à l'esplanade, scrute l'horizon et le golfe de Porteferraio. Il aperçoit le brick
Il ne peut détacher ses yeux de ces navires. Par eux, il peut savoir ce qui se passe en France, en Europe. Il peut, s'il le veut, quitter l'île.
Il refuse de penser à cela.
Mais il faut savoir ce que deviennent la France et l'Europe. Il veut recevoir des journaux anglais.
À sept heures, quand le soleil est déjà haut, il rentre, prend un petit déjeuner, parfois se recouche, lit les journaux, écrit à nouveau.
« Ma bonne Louise,
« Le général Koller qui m'a accompagné jusqu'ici et dont j'ai été extrêmement content s'en retourne, je le charge de cette lettre. Je te prie d'écrire à ton père qu'il fasse quelque chose pour témoigner ma reconnaissance à ce général qui a été parfaitement bon pour moi.
« Je fais arranger un assez joli logement avec un jardin et en très bon air. Ma santé est parfaite, l'île est saine, les habitants paraissent bons et le pays est assez agréable. Il me manque d'avoir de tes nouvelles et de te savoir bien portante ; je n'en ai pas reçu depuis le courrier que tu m'as expédié et qui m'a rejoint à Fréjus.
« Adieu, mon amie, donne un baiser à mon fils et ne doute jamais de ton
« Nap. »
Il reste un instant prostré.
Ce silence de Marie-Louise, cette ignorance où on le tient sur le sort de son fils, cette cruauté barbare avec laquelle on le sépare des siens le révoltent et l'accablent.
Que veulent-ils ? les Bourbons, les Autrichiens ?
Déjà des informateurs assurent qu'autour de Louis XVIII et du comte d'Artois on prépare des projets pour son enlèvement, son assassinat. N'ont-ils pas fait célébrer, à Paris, des messes solennelles en souvenir de Cadoudal, de Pichegru, et même du feld-maréchal Moreau !