Il lui prend la main, puis il caresse la tête de l'enfant. Il éprouve une grande émotion mais en même temps, sera-ce désormais toujours ainsi, il n'est pas tout entier dans le désir, dans l'affection, dans les questions qu'il pose à l'enfant ensommeillé.
Il s'entend. Il se voit. Il est le témoin de ce qu'il fait et dit.
Elle le questionne de sa voix chantante marquée par l'accent polonais, et il se sent enveloppé par le souvenir. Il prend son fils contre lui, le soulève pour le porter jusqu'à l'ermitage, où il a fait préparer les chambres, alors que lui-même dormira sous la tente.
Mais pourquoi resterait-il seul ainsi ? Quel serait le sens de cette privation ? La vie doit être prise à bras-le-corps quand elle s'offre.
Il sort de la tente, se dirige vers l'ermitage.
Et quand l'aube blanchit le ciel il quitte la chambre de Marie Walewska pour demeurer longuement face à l'horizon.
Alors qu'elle dort encore, il voit s'avancer sur le sentier un officier de la Garde qui arrive de Portoferraio avec une lettre du général Drouot.
Il la lit en marchant à grands pas sur la plate-forme. Toute la population du port est persuadée que l'Impératrice et le roi de Rome sont arrivés dans la nuit, et qu'ils vont séjourner sur l'île aux côtés de l'Empereur. Dès lors que cette rumeur s'est répandue, elle ne pourra qu'être connue des espions qui grouillent dans l'île.
Il froisse le message de Drouot. Il s'enfonce dans la petite forêt de châtaigniers. Il se sent entravé, prisonnier, contraint de tenir compte de l'opinion de la population de cette île qui épie et cancane comme celle d'un village corse.
Il n'est plus l'Empereur qui pouvait imposer à tous sa manière de vivre. Et tous acceptaient. Maintenant, il craint les décisions de Vienne, les réactions de Marie-Louise, les bavardages des Elbois, auxquels il a prêché la vertu.
Perdre la puissance, c'est se soumettre aux autres. Il est humilié mais, s'il veut espérer revoir Marie-Louise et son fils, il doit accepter la prudence.
Il a pris sa décision. Il assiste au dîner avec Marie Walewska, il applaudit aux danses et aux chansons qu'interprètent des officiers polonais. Il caresse le visage d'Alexandre. Et cette dernière nuit, il retrouve Marie. Mais il ne peut accepter, comme elle le désire, qu'elle reste dans l'île. Il refuse les bijoux qu'elle veut lui donner, parce que le « ministre des Finances » Peyrusse lui a confié que les ressources de l'Empereur s'amenuisent.
Elle écoute dignement, les larmes dans les yeux.
C'est, il en a conscience, la femme la plus noble, la plus généreuse qu'il ait connue.
Elle ne demande que le droit de l'aimer.
Et il la repousse.
Il la voit partir alors que se déchaîne un orage et que le vent souffle en tempête. Elle doit embarquer à Marciana Marina, mais il devine dans la lueur des éclairs le navire qui met à la voile, s'éloigne sans doute pour contourner l'île, se mettre ainsi à l'abri du vent.
Tout à coup, il hurle, appelle un officier d'ordonnance, demande à ce qu'on rejoigne la comtesse et son fils, qu'on leur interdise d'embarquer avant que la tempête soit calmée.
Il regarde le cavalier s'éloigner dans les bourrasques.
Marie Walewska a traversé l'île jusqu'à Porto Longone, explique l'officier à son retour. Napoléon s'élance sous l'averse. Il galope jusqu'au port, poussé par le vent et les rafales.
Voici enfin devant lui l'ample rade au fond de laquelle brillent les quelques lumières de Porto Longone. Il n'y a pas de navire.
Il descend jusqu'au port. Ils ont embarqué, lui explique-t-on. Elle avait, a-t-elle dit, l'autorisation de l'Empereur. Et le navire a aussitôt levé l'ancre.
Tout est bien, murmure-t-il.
Il remonte lentement vers l'ermitage. La pluie tombe dru et droite. Le vent a cessé.
Lorsqu'il parvient sur la plate-forme rocheuse, à l'ermitage, le ciel est dégagé, l'horizon clair.
Il donne des ordres. Il sait qu'il ne reviendra plus ici. Où elle a été. Où elle n'est plus.
24.
Il retrouve avec plaisir les
Mais il n'oublie pas.
- Ma femme ne m'écrit plus, dit-il à Bertrand. Mon fils m'est enlevé comme jadis les enfants des vaincus pour orner le triomphe des vainqueurs. On ne peut citer dans les temps modernes l'exemple d'une pareille barbarie.
Il a appris que l'empereur François fait ouvrir les lettres qu'il écrit à Marie-Louise, et qu'il interdit à sa fille de répondre.
Que sont ces gens-là ?