Napoléon répète à Bertrand, à Drouot, à Peyrusse ce qu'il a déjà dit depuis des semaines : « Je suis regretté et demandé par toute la France. » Il lit les journaux. La division des coalisés à Vienne est patente. L'Angleterre s'oppose au désir du tsar qui veut reconstituer à son profit un royaume de Pologne. Et l'Autriche refuse à la Prusse le droit d'annexer la Saxe.
Si la coalition a éclaté, il y a une carte à jouer pour la France, pour lui. Et mieux vaut se battre que se laisser égorger ou étouffer ici.
Et c'est ce qu'ils veulent.
Il a confiance dans ce que lui rapporte Cipriani, un Corse qui est à son service. Il connaît depuis l'enfance cet orphelin qui accomplissait de petits travaux pour les Bonaparte. Lucien lui avait appris à lire. Il avait été intendant de Saliceti, et avait accompli pour lui plusieurs missions, soudoyant les Corses qui étaient au service d'un général anglais, Hudson Lowe, qui commandait la garnison de Capri. Celle-ci s'était soulevée et l'aile avait pu être conquise par les troupes du général Lamarque.
Il expédie Cipriani à Gênes, à Vienne, et le Corse, habile informateur, réussit à faire parvenir chaque semaine un bulletin rapportant les rumeurs qui circulent dans la capitale autrichienne, dans l'entourage des souverains, dans les couloirs du Congrès. Chaque fois que ces bulletins arrivent, Napoléon s'isole pour les lire et les relire.
« Il paraît certain que dans une séance secrète tenue hier matin il a été comme décidé qu'on enlèverait Bonaparte de l'île d'Elbe et que Murat ne régnerait plus... La personne qui m'a parlé de la conférence d'hier m'a dit que l'Autriche avait exigé que la décision sur Naples fût tenue secrète jusqu'au moment où l'on pourrait agir contre Murat... »
Napoléon ne réussit plus à dormir. Il se sent pris dans une nasse. On serre la corde autour de sa gorge.
Méneval, qui est attaché à la personne de Marie-Louise, écrit que l'enlèvement et la prochaine déportation dans l'île de Sainte-Hélène sont étudiés, préparés par les diplomates de Vienne et de Londres, à l'instigation du prince de Bénévent.
Comment accepter de se laisser ainsi conduire à la mort sans réagir ?
Il donne des ordres. S'il le faut, on soutiendra un siège. L'
Il convoque le général Drouot. Il faut que les masures placées devant les forts et qui pourraient gêner le tir de l'artillerie soient rasées. Il veut que l'on organise des rondes sur toutes les côtes de l'île, que l'on multiplie les exercices et que l'on initie les artilleurs au tir à boulets rouges.
Il dit au colonel Campbell, qui représente dans l'île les coalisés et le surveille :
- Ce projet de déportation dans une île de l'Atlantique est indigne. C'est une violation des traités. Je résisterai jusqu'à la mort.
Campbell assure que rien de tel n'est projeté.
Comment administrer Elbe et la défendre, comment gouverner, alors que le revenu annuel de l'île n'est que de quatre cent soixante-dix mille francs, ce qui équivaut à peine aux dépenses du budget civil, et qu'il reste à payer la petite armée et les dépenses de la Maison de Sa Majesté ?