Il faut des mots de force et d'enthousiasme, d'énergie et de confiance pour le peuple français, les grenadiers de la Garde, l'armée. Et les phrases viennent : « Français, un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux s'appuie sur un petit nombre d'ennemis du peuple qui depuis vingt-cinq ans les a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. J'ai entendu dans mon exil vos plaintes et vos vœux. Vous réclamiez le gouvernement de votre choix, qui seul est légitime. J'ai traversé les mers ! J'arrive parmi vous reprendre mes droits qui sont les vôtres.
« Soldats de la Grande Nation ! Soldats du Grand Napoléon, tout ce qui a été fait sans le consentement du peuple et le nôtre est illégitime. »
Ces mots l'exaltent. Il sort à plusieurs reprises sur la terrasse. C'est comme s'il avait besoin de les hurler aux troupes rassemblées. Elles seront bientôt là, il en est sûr.
« Soldats, arrachez les couleurs que la nation a proscrites et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France ! Arborez cette cocarde tricolore : vous la portiez dans nos grandes journées. Reprenez vos aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, à Friedland, à Tudela, à Eckmühl, à Essling, à Wagram, à Smolensk, à la Moskova, à Lützen, à Würschen, à Montmirail... Pensez-vous que cette poignée de Français aujourd'hui si arrogants puissent en soutenir la vue ? Ils retourneront d'où ils viennent ; et là, s'ils le veulent, ils régneront comme ils prétendent avoir régné pendant dix-neuf ans. »
Le secret n'est plus possible.
Il s'approche de sa mère. Il lui caresse les cheveux. Il la sent inquiète. Durant tout le dîner, elle l'a observé, s'étonnant parfois de son silence. Tout à coup, il dit :
- Je vous préviens que je pars la nuit prochaine.
- Pour aller où ?
- À Paris, mais avant tout je vous demande conseil.
Il la regarde. Il a confiance dans cette femme qui n'a jamais tenté de le retenir et au contraire lui a appris à s'élancer.
Il l'entend qui soupire.
- Ce qui doit être sera, murmure-t-elle. Que Dieu vous aide. Je me reprocherais de vous dire rien d'autre. Mais s'il est écrit que vous devez mourir, le ciel, qui n'a pas voulu que ce soit dans un repos indigne de vous, ne voudra pas, j'espère, que ce soit par le poison mais l'épée à la main.
Il se retire. Il lit
Il regarde vers Portoferraio. L'embarquement à bord des navires continue. La foule est dense sur les quais. Il entend des cris, des pas. Des Elbois sont rassemblés sur l'esplanade derrière les
Dans la soirée, il reçoit une délégation des Elbois. Il est impatient. Ce temps est fini. Il est déjà ailleurs, la mer traversée, sur les routes qui conduisent à Paris.
- Messieurs, je vous quitte. La France m'appelle. Les Bourbons l'ont ruinée. Plusieurs des nations d'Europe m'y verront revenir avec plaisir.
Il dîne avec sa mère et la princesse Pauline qui pleure, le visage défait. Il se détourne, puis, quand Pauline veut lui remettre un collier, il l'entraîne dans le jardin, ému. C'est toujours à lui de consoler.
Sur les quais, dans la nuit tombée, il traverse la foule en calèche. Toutes les maisons sont illuminées. On crie : «
Il se lève. Il regarde cette mer de visages qui recouvre les quais du port.
- Elbois, je rends hommage à votre conduite. Tandis qu'il était à l'ordre du jour de m'abreuver d'amertume, vous m'avez entouré de votre amour et de votre dévouement... Votre souvenir me sera toujours cher. Adieu, Elbois ! Je vous aime. Vous êtes les braves de la Toscane.
Il saute dans une barque.
Il regarde la masse sombre de l'
- Ah, la France, la France, murmure-t-il.
Vers minuit, ce dimanche 26 février 1815, le vent du sud se lève enfin.