À dix heures, le lundi 27, une voile apparaît à l'horizon, c'est la
Il fait quelques pas sur la dunette.
- Campbell sera bien déconcerté lorsque le commandant de cette corvette lui annoncera que j'ai quitté l'île d'Elbe, dit-il.
Il s'assied sur le pont. Au milieu de l'après-midi, de la vigie, un marin crie qu'il aperçoit les voiles de deux navires.
Ce sont les frégates françaises de surveillance, mais elles disparaissent bientôt à l'horizon. Puis, au crépuscule, un brick français, le
Et le
C'est la nuit obscure sans une lueur lunaire, comme il l'avait prévu. Une brise régulière souffle.
Le mardi 28 février 1815, vers midi, la côte française apparaît.
Napoléon est à la proue. Il se tourne vers les officiers rassemblés derrière lui, tendus eux aussi vers cette ligne bleue sombre qui apparaît.
- J'arriverai à Paris sans tirer un coup de fusil, dit-il.
Septième partie
Français, ma volonté est celle du peuple
1er
mars 1815 - 12 juin 181526.
Il saute sur le sable de la plage, ce mercredi 1er
mars 1815. Il est quatorze heures. Le soleil illumine la mer prisonnière de l'anse du golfe Juan. Toute la flottille est à l'ancre à quelques encablures et les premiers grenadiers ont déjà débarqué. Il les voit, avançant en ligne vers les oliviers, au-delà des roseaux qui ceinturent la plage. Les chaloupes ont commencé leur va-et-vient entre la côte et les navires. Il faudra plusieurs heures, estime-t-il, pour débarquer les douze cents hommes, les chevaux, les quatre canons, les caisses de cartouches. Il ne peut attendre ici. Il faut avancer au plus vite, vers l'intérieur des terres, s'assurer des premières villes, Cannes, Antibes, Grasse.Il va jusqu'à une oliveraie, à quelques centaines de mètres de la plage. Il place lui-même les sentinelles, puis ordonne qu'on monte la tente dans la prairie voisine. Il fait froid. Le soleil commence déjà à décliner. Les journées sont encore courtes. Il appelle le général Cambronne, qui commandera l'avant-garde. Tout dépendra de lui.
- Je vous confie l'avant-garde de ma plus belle campagne, lui dit-il. Vous ne tirerez pas un seul coup de fusil. Songez que je veux reprendre ma couronne sans verser une goutte de sang.
Il faut donc que les troupes se rallient. On choisira la route du Dauphiné pour éviter les royalistes d'Avignon et de la Provence. C'est à l'avant-garde d'ouvrir la route, sans violence. Il faut que chaque soldat qui s'avancera vers nous avec l'ordre de nous combattre entende ces mots.
Il prend la proclamation destinée à l'armée. Il la lit à haute voix.
« Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. La victoire marchera au pas de charge. L'aigle avec les couleurs nationales volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame. Alors, vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices. Alors, vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait, vous serez les libérateurs de la patrie ! »
Il s'approche de Cambronne, le serre contre lui, répète :
- De clocher en clocher, jusqu'aux tours de Notre-Dame, sans tirer un seul coup de fusil.
Il suit des yeux Cambronne et les quelques grenadiers qui l'accompagnent. Il s'assied auprès du feu.
Tout va se jouer dans les quelques jours qui viennent. Il regarde, au-delà des oliviers, un groupe de paysans et de pêcheurs qui l'observent avec une sorte d'indifférence curieuse. Il a en mémoire les acclamations de la foule sur les quais de Portoferraio. Si, ici, les soldats et le peuple ne viennent pas à lui, il sera sans force, et il suffira d'un homme déterminé pour l'abattre. Et l'aigle tombera.
Il pose les coudes sur ses cuisses, prend son menton dans ses paumes. Son corps est lourd. Ses jambes sont douloureuses et il ressent dans le ventre une douleur lancinante qui parfois, comme un coup de poignard, le déchire, du nombril au sexe. Il sait qu'il n'est plus aussi leste qu'autrefois, qu'il a du mal à monter à cheval, à rester longtemps en selle. Il l'a éprouvé dans ses promenades et ses chasses à l'île d'Elbe. Et quelquefois, sans qu'il s'en rende compte, il s'enfonce dans un sommeil noir comme l'oubli.
Il a dépassé quarante-cinq ans.
Il se dresse. Allons, en avant. Il marchera en première ligne. Que risque-t-il ? De mourir ?
Est-ce un risque ?
Un vent froid balaie les premières heures de l'aube et l'on marche vers Grasse, qu'il veut éviter. Le but, c'est Grenoble, la ville où la Révolution est née.