- Les Anglais libres et éclairés sont le seul peuple capable d'accueillir l'Empereur et capable de le comprendre, répète-t-elle.
Il entre dans son cabinet. La table de travail est couverte de lettres. Il les ouvre, puis tout à coup les rejette sans les lire. À quoi bon ?
Hortense apparaît, le visage décomposé, entre.
- Vous avez sans doute dîné ? lui demande-t-il en se levant. Voulez-vous me tenir compagnie ?
Mais il suffit de quelques minutes pour achever le dîner. Les plats lui semblent sans saveur. Il passe au salon. Il voit sa mère qui le fixe. Autour d'elle, les frères, Jérôme, Lucien, Joseph. La famille. Il les entraîne dans les jardins.
Il ne peut même pas tenir la main d'un fils, le bras d'une épouse. Il est seul avec ceux de ses origines. Comme si rien ne s'était produit, comme si le destin lui avait déjà tout repris.
C'est la nuit. Il ne dort pas. De temps à autre, des cris retentissent encore sur les Champs-Élysées.
Il se lève, commence à brûler des papiers par brassées sans même les trier.
Il se lève. Un envoyé de la Chambre est déjà là.
Il ne répond pas à Solignac. On ignore un homme comme lui.
Il marche dans le cabinet de travail. Voici Lucien qui gesticule, qui rappelle le 18 Brumaire, où la situation était bien plus difficile qu'aujourd'hui.
- Vous avez tous les pouvoirs ! crie Lucien. L'étranger marche sur Paris. Jamais dictature militaire ne fut plus légitime.
Napoléon s'approche de Lucien, le prend par le bras. Il faudrait vouloir. Et il ne veut plus.
- Mon cher Lucien, dit-il d'une voix calme, presque avec l'indifférence de quelqu'un qui regarde les événements de loin, il est vrai qu'au 18 Brumaire nous n'avions pour nous que le salut du peuple. Aujourd'hui, nous avons tous les droits, mais je ne dois pas en user.
Fouché entre.
- Eh bien, qu'il en soit comme ils veulent, dit Napoléon. L'avenir dira s'ils ont ainsi mieux servi la France. Ils vont être satisfaits.
Il se tourne :
- Prince Lucien, écrivez, dit-il.
Il commence à marcher tout en dictant calmement. Il n'est plus pressé. Il a atteint le rivage. Il regarde l'océan aux flots déchaînés qu'il a traversé pour arriver à ce point de sa vie.
« Français, en commençant la guerre pour soutenir l'indépendance nationale, dicte-t-il, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et sur le concours de toutes les autorités nationales. J'étais fondé à espérer le succès. Les circonstances me paraissent changées. »
Il regarde l'un après l'autre ces dignitaires, ces ministres qui l'entourent.
« Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France », dit-il avant de s'interrompre.
Mais il hausse les épaules.
« Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, reprend-il, et n'en avoir voulu réellement qu'à ma personne. Ma vie politique est terminée et je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, Empereur des Français. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les Chambres à organiser sans délai la régence par une loi.
« Unissez-vous pour le salut public et pour rester une nation indépendante. »
C'est fait. Il les regarde partir.