Pendant que la baignoire achève de se remplir, il se jette sur un canapé. Il observe Caulaincourt, puis Davout, La Valette, Maret, Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, qui pénètrent les uns après les autres dans le cabinet de travail, puis dans la salle de bains.
Il écoute Caulaincourt.
- Sire, la nouvelle de vos malheurs a déjà transpiré. Il règne une grande agitation dans les esprits, les dispositions des députés paraissent plus hostiles que jamais. Il est à craindre que la Chambre ne réponde point à votre attente. Sire, je regrette de vous voir à Paris. Il eût été préférable de ne point vous séparer de votre armée, c'est elle qui fait votre force, votre sûreté.
Il secoue la tête. C'est ici qu'il veut jouer le dernier acte. Que chacun prenne ses responsabilités ! Il ne se laissera pas mettre hors jeu comme en avril 1814, pendant qu'il combattait, on le trahissait, ici, dans la capitale qu'on livrait aux coalisés. Il ne veut plus de cela. Qu'on choisisse dans la clarté. S'il doit sortir de scène, ce sera dans les règles, dans la lumière, dans la vérité. S'il doit combattre, à la tête d'une armée, ce sera avec l'assentiment de tous. Lui, il a noué les deux extrémités de sa vie.
Il regarde ces dignitaires atterrés qui l'entourent, cependant que peu à peu l'eau du bain dissout la crasse, la fatigue, la tension.
Il sort du bain. Il les éclabousse. Les dignitaires reculent cependant qu'on commence à l'habiller.
- Je le sais, dit-il, les La Fayette et les Lanjuinais ne veulent pas de moi. Je le sais, je les gêne.
Il s'interrompt. Ils ont entendu comme lui, puisqu'ils tournent leurs visages creusés par l'inquiétude vers les fenêtres. Cette rumeur, ces cris, comme une houle : « Vive l'Empereur, vive l'Empereur ! » C'est le peuple.
Napoléon s'approche de la croisée. Il voit les abords de l'Élysée remplis d'une foule énorme. On gesticule, on dresse le poing. Il reconnaît les blouses des ouvriers, les tenues grises ou noires des femmes des faubourgs.
Il revient vers les dignitaires. Il tend le bras. Ils voient, n'est-ce pas ? Ils entendent ?
Mais ils parlent des Chambres, d'une commission gouvernementale formée par Fouché.
- Je crains, dit Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, qu'un grand sacrifice ne soit nécessaire.
- Si l'Empereur ne se déterminait point à offrir son abdication de son propre mouvement, poursuit d'Angély, il serait possible que la Chambre osât la demander.
Il ajoute même dans un murmure que la Chambre, qui a décidé de siéger en permanence, pourrait aller jusqu'à proclamer la déchéance.
Lucien s'indigne. Carnot proteste. Il faut que l'Empereur se déclare dictateur. Il y a le peuple, l'armée.
Napoléon les regarde. Il entend les cris qui se sont encore amplifiés. Le peuple est là. En effet. Mais que faire avec lui ?
- Ma vie politique est terminée, murmure-t-il.
Puis il va et vient d'un pas lent.
- Puisqu'on veut me violenter, je n'abdiquerai point. Je veux qu'on me laisse y songer en paix.
Il s'arrête devant Regnaud de Saint-Jean-d'Angély.
- Quoi que les députés fassent, dit-il, je serai toujours l'idole du peuple et de l'armée.
Il parle d'une voix posée. Est-ce de lui qu'il s'agit ? Il est sur cette scène et l'a déjà quittée. Il voit. Il analyse. Il parle. Mais une autre voix murmure en lui.