Il ne craint pas les risques qu'impliquent ces projets. La mort n'est rien. Il l'a recherchée. Mais il a toute sa vie passée, à laquelle il doit donner une conclusion à la hauteur de la gloire qui fut la sienne
Donc, pas de fuite mesquine, d'aventure qui se termine en vaudeville.
Il montre à Joseph les membres de la Maison impériale qui se promènent devant la maison. Il y a quatre enfants, l'un de Las Cases, l'une de la comtesse de Montholon, et deux de la comtesse Bertrand. Il y a, outre ces deux femmes, les généraux, les officiers, les domestiques. Près de soixante personnes. Il veut partir dignement avec tous ceux de sa maison.
Il donne à nouveau l'accolade à Joseph. C'est le dernier adieu. Maintenant il va décider seul de la conduite à suivre.
Las Cases et Gourgaud se sont rendus auprès du capitaine Maitland commandant le
Pourquoi, en effet, ne pas remettre son sort aux mains de ce grand peuple d'Angleterre ?
Il est minuit, ce 13 juillet 1815.
Il se souvient de Plutarque, des
Et puis il éprouve, à la pensée de s'en remettre pour la première fois de sa vie à d'autres, ces Anglais auxquels il va confier sa nouvelle existence, un sentiment de soulagement.
Toute une vie à faire front, à combattre, à relever des défis. Agir sans trêve. Et maintenant une seconde vie, à ne se servir que de son esprit et de sa mémoire. Il dit à Gourgaud :
- Il y a toujours danger à se confier à ses ennemis, mais mieux vaut risquer de se confier à leur honneur que d'être en leurs mains prisonniers de droit.
Il a pris sa décision. Il est apaisé.
Il prend la plume. Il lève les yeux et, par la fenêtre de la petite chambre, il aperçoit le ciel, puis le
Il commence à écrire au prince-régent d'Angleterre.
« Altesse royale,
« En butte aux factions qui divisent mon pays, et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique.
« Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse royale comme au plus puissant, au plus constant, et au plus généreux de mes ennemis.
« Napoléon. »
Il relit. Il est satisfait. Il est sûr d'avoir ainsi devancé les ordres de Louis XVIII et de Fouché. Ceux-là veulent l'arrêter. En se rendant sur le
Il dicte des instructions à Gourgaud. Le général partira le premier avec cette missive pour le prince-régent. Il expliquera que, « à défaut de l'Amérique, je préfère l'Angleterre à tout autre pays. Je prendrai le titre de colonel Muiron ».
Le nom est venu sous sa plume. Il revoit son jeune aide de camp se précipitant sur le pont d'Arcole, puis se plaçant devant lui afin de recevoir les balles.
« Si je dois aller en Angleterre, reprend-il, je désire être logé dans une maison de campagne à dix ou douze lieues de Londres où je souhaiterais arriver dans le plus strict incognito. Il faudrait une habitation assez grande pour loger tout mon monde... »
Et si cela n'était pas ? Si les Anglais devenaient des geôliers ou des bourreaux ?
S'il eût mieux valu tenter de forcer le blocus, afin d'atteindre l'Amérique ?
Mais quoi ! Était-ce là la fin d'un Empereur des rois de devenir un citoyen quelconque ?
Il a choisi la seule issue digne de lui.