Le dimanche 23 juillet, à cinq heures du matin, il monte sur le pont qu'on lave à grande eau. Mais cette nuit il n'a pas pu dormir. C'était comme si les craquements de la coque du navire résonnaient dans son esprit. On doit être au large d'Ouessant.
Il interroge un aspirant qui montre du doigt cette flèche noire qui s'enfonce dans la mer alors que le jour bleuit.
- Cap Ouessant.
Napoléon se hisse sur un affût de canon. Il regarde cette pointe de terre dans sa lunette. Il ne peut la quitter des yeux. Et lorsqu'elle disparaît, dans la lumière vive de midi, c'est une part de lui qui s'enfonce dans un abîme.
Et au soir de la même journée, dans le crépuscule, apparaît la côte d'Angleterre.
La pluie tombe sur la rade de Torbay.
Il regarde par les hublots, puis monte sur la dunette. Il voit des milliers d'embarcations qui entoure le
Qu'est-ce que cela ? Napoléon monte sur le pont. Le
Napoléon marche d'un pas rapide de la poupe à la proue.
Est-ce possible ? Se serait-il jeté dans la nasse ? Il sent qu'autour de lui tout se modifie insensiblement. Dans la rade de Plymouth, deux frégates écartent les embarcations des curieux. Les Anglais sont gens capables de tous les pièges. Il l'a su. Il a voulu l'oublier. La vérité revient toujours frapper ceux qui ferment les yeux pour ne pas la voir.
Il se souvient de l'amiral qui commande l'escadre de la Manche, lord Keith.
- Je désire beaucoup voir l'amiral, dit Napoléon à Maitland. Qu'il ne s'embarrasse pas de cérémonial. Je me contenterai d'être traité en particulier, en attendant que le gouvernement britannique ait fixé la manière dont je dois être considéré.
- Je ne suis plus rien, martèle Napoléon. Je ne peux plus déranger personne. Ne puis-je vivre en Angleterre ?
Lord Keith ne répond rien. Et il faut attendre. Il faut subir la colère et la folie de Mme la générale Bertrand qui tente de se jeter par-dessus bord, parce qu'elle veut débarquer en Angleterre et qu'elle se dit persuadée que l'Empereur va être déporté à Sainte-Hélène.
Il a envie de mourir.
Il marche sous la pluie. Le pont est glissant. L'horizon n'est qu'un rideau gris. Il imagine Sainte-Hélène. Maintes fois, dans sa vie d'avant, il a évoqué ce nom. Il voulait s'emparer de cet îlot qui sert d'escale aux navires de la Compagnie des Indes. Que ferait-il sur ce bloc de basalte vert foncé ? Sous ce climat équatorial ? C'est sa mort certaine. Autant mourir ici.
À dix heures trente, le lundi 31 juillet 1815, lord Keith accompagné du sous-secrétaire d'État Bunbery montent à bord.