Napoléon demande qu'on le réveille peu après minuit, ce samedi 15 juillet 1815.
Il revêt son uniforme des chasseurs de la Garde, vert à parements rouges. Il boutonne sa redingote grise et coiffe son chapeau à cocarde tricolore. Il va sortir de sa première vie la tête haute comme il le faut.
Le général Becker se propose pour l'accompagner jusqu'au
- Pensons à la France, dit-il. C'est de mon propre gré que je me rends à bord de la croisière. Si vous veniez avec moi, on ne manquerait pas de dire que vous m'avez livré aux Anglais. Je ne veux pas laisser peser sur la France une pareille accusation.
Becker pleure.
- Embrassez-moi, général. Je regrette de ne pas vous avoir connu plus tôt d'une manière aussi particulière. Je vous eusse attaché à ma personne.
- Adieu, Sire, soyez plus heureux que nous.
Bonheur ? Malheur ?
Il pense à ces mots en gagnant le navire français
Bonheur ? Malheur ?
Il a tout connu, mais il n'a jamais recherché le bonheur ou craint le malheur. Il a voulu aller jusqu'au bout de soi, et ne pas étouffer l'énergie qui soufflait en lui comme une tempête vitale.
Il fait nuit encore quand l'embarcation aborde
- Il est trop tard. On m'attend, je m'y rendrai.
Napoléon salue l'équipage de
Quelques coups de rames, et il monte lentement l'échelle de coupée du
Les sifflets des gabiers déchirent l'aube grise.
Napoléon s'avance vers le capitaine Maitland. Il soulève son chapeau.
- Je suis venu me placer sous la protection de votre prince et de vos lois, dit-il d'une voix ferme.
Il fait quelques pas puis ajoute :
- Le sort des armes m'amène chez mon plus cruel ennemi, mais je compte sur sa loyauté.
Neuvième partie
L'infortune seule manquait à ma renommée
16 juillet 1815 - 5 mai 1821
33.
Il entre dans la grande cabine de la dunette que le capitaine Maitland lui a destinée. Il éprouve un sentiment de paix, et presque de la gaieté. Il n'est plus maître que de son esprit. Il se sent libre, comme si le choix qu'il avait fait de s'en remettre aux Anglais le déchargeait enfin du fardeau de la responsabilité. Maitland va choisir la route du
Et s'il n'en était pas ainsi ?
Il sort sur le pont. Les marins lui rendent les honneurs. Maitland lui annonce que le
Il rendra la visite à l'amiral à bord du
- Sans vous, les Anglais, j'eusse été Empereur de l'Orient, dit-il ; mais là où il y a de l'eau pour faire flotter un bateau, on est certain de vous rencontrer.
Il se souvient de sir Sydney Smith, son adversaire si souvent affronté. Il évoque son retour d'Égypte à bord de la frégate
Il marche sur le pont du
Il est heureux de son choix. Il n'a pas été pris dans la souricière que sûrement voulaient lui tendre Louis XVIII, Talleyrand et Fouché. Il s'accoude au bastingage, regarde disparaître les côtes de France.