Celle-ci semble hésiter. Un courrier annonce que, le 4 juin, Masséna a capitulé dans Gênes. Le feld-maréchal Melas va donc pouvoir se rabattre sur la Lombardie.
Il faut être sur le terrain. Napoléon quitte Milan, passe le Pô pour rejoindre les troupes de Lannes qui sont déjà aux prises avec l'armée autrichienne du général Ott, qui remonte de Gênes. Mais quand Napoléon arrive sur les champs de bataille, à Montebello, Lannes a vaincu. « Les os craquaient dans ma division comme de la grêle qui tombe sur les vitrages », dit Lannes.
Napoléon passe parmi les troupes. Les hommes sont exténués mais joyeux. La victoire transfigure. Il faut donner un signe à chacun, pincer l'oreille à celui-là, poser une question à celui-ci :
- Combien as-tu de service ?
- C'est le premier jour que je vais au feu, répond le grenadier Coignet, qui s'est distingué.
Qu'on le marque pour un fusil d'honneur.
- Va, quand tu auras quatre campagnes, tu viendras dans ma Garde.
C'est comme cela qu'on noue avec chaque soldat un lien personnel.
Voici Desaix avec ses longs cheveux noués par un ruban, Desaix parle de l'Égypte. Les heures passent. « Je ne veux pas de repos, dit Desaix. Quelque grade que vous me donniez, je serai content. Travailler à augmenter la gloire de la République, la vôtre, est tout mon désir. »
Napoléon écoute.
Desaix se voit confier une division.
Puis, durant plusieurs jours, c'est l'attente. Le ciel est lourd, orageux. Des pluies violentes s'abattent, qui gonflent les fleuves. Peut-être l'ennemi va-t-il se dérober, échapper à la nasse dans laquelle il est maintenant enfermé. Il faut prendre une décision, envoyer les troupes à sa recherche.
Le 14 juin au matin, à sept heures, les Autrichiens attaquent et, durant plus de sept heures, entre les canaux et les clôtures, dans les terres irriguées, on se bat. Les troupes du général Victor plient. Les unités se débandent. Napoléon entend le cri répercuté par les soldats : « Tout est perdu ! » La plaine de Marengo se couvre de fuyards.
Napoléon est assis sur une levée de terre au bord de la route. Il tient son cheval par la bride, faisant voltiger de petites pierres avec sa cravache. Il ne voit ni les boulets qui roulent sur la route, ni les soldats qui passent.
Il s'est trompé. Il a cherché l'armée autrichienne, croyant qu'elle se dérobait. Il a dispersé ses forces pour la traquer, et Melas a attaqué avec toute sa puissance, ses trente mille hommes, ses cent canons.
C'est lui qui applique ma devise : « Tenir ses forces réunies, n'être vulnérable nulle part... ne jamais rien détacher d'une armée : à la veille d'une attaque, un bataillon décide d'une journée. »
Napoléon appelle un aide de camp, écrit, le papier posé sur son genou, un message à Desaix, qui doit à cette heure marcher en direction de Novi, s'éloigner de Marengo : « Je croyais attaquer l'ennemi. Il m'a prévenu. Revenez, au nom de Dieu, si vous pouvez encore. »
Napoléon saute à cheval.
- Du courage, soldats ! lance-t-il. Les réserves arrivent. Tenez ferme.
Tenir. Ne pas laisser poindre en soi l'idée que la Fortune grimace. Et se placer au premier rang de la garde consulaire qui porte secours aux troupes de Lannes. Mais le repli continue. Ici et là, les soldats crient : « Vive Bonaparte ! », mais la plaine est jonchée de morts et de blessés. Le combat est inégal. Il n'y a plus que quelques pièces d'artillerie françaises. À quinze heures, la bataille est perdue. Napoléon sent peser sur lui les regards de ses officiers d'état-major chargés d'anxiété. Et tout à coup un aide de camp survient au galop, criant : « Où est le Premier consul ? »
Desaix arrive, annonce-t-il.
Sera-ce que la Fortune sourit à nouveau ?
La division Desaix, avec ses batteries, ses cavaliers, apparaît « comme une forêt que le vent fait vaciller ». Marmont rassemble les canons qui restent et qui ouvrent aussitôt le feu. Les grenadiers de Desaix sont dissimulés derrière des haies. Tout se joue à cet instant.
Napoléon donne l'ordre à la cavalerie de Kellermann, qui se trouve à l'aile gauche, de charger. Les 600 chevaux s'élancent, faisant trembler le sol. Les canons de Marmont tirent à mitraille. Les grenadiers de Desaix font un feu de salve puis s'élancent à leur tour. Desaix tombe parmi les innombrables morts. Mais les Autrichiens, surpris alors qu'ils pensaient la victoire acquise, s'enfuient ou se rendent avec à leur tête le général Zach.
Napoléon reste seul, longtemps.