Читаем Napoléon. Le soleil d'Austerlitz полностью

Giuseppina Grassini l'attend déjà, il en est sûr.

Que savent-ils de moi, alors que je connais tout d'eux, que je sais qu'ils auraient applaudi quoi que j'aie dit ?

Le lendemain matin, comme chaque jour, il écoute les consuls, les membres du Conseil d'État ou bien ceux d'une commission qu'il a créée pour rédiger un code civil.

Mais la colère le gagne souvent.

Que comprennent-ils des nécessités du pays ? L'avidité dicte souvent leur raisonnement.

Bien sûr, il accepte le désir d'hommes - et ses propres frères ! - soucieux de s'enrichir. Bourrienne lui-même, qu'il voit à chaque heure tous les jours, ne pense qu'à cela. Il y a aussi les courtisans, ceux qui rêvent d'un mariage avec Hortense de Beauharnais. Duroc et Bourrienne l'ont espéré. Mais cela le choque.

- Je suis entouré de coquins ! s'exclame Napoléon. Tout le monde vole ! Comment faire ? Ce pays-ci est corrompu. Il en a toujours été de même. Quand un homme était ministre, il bâtissait un château.

Il sort dans le parc de la Malmaison, fait quelques pas, retourne travailler, oubliant l'heure des repas, ne leur consacrant qu'une dizaine de minutes, s'isolant avec les consuls, les ministres, les membres de l'Institut ou les généraux venus de Paris.

Il les observe. Ces officiers, qu'il connaît depuis des années déjà, ont changé.

- Quand on a été à tant de guerres, murmure-t-il, qu'on veuille ou qu'on ne veuille pas, il faut bien avoir un peu de fortune.

Mais le peuple ? Ce peuple qui s'est insurgé au nom de l'égalité, il y a seulement dix ans, comment lui faire accepter cette richesse des uns face à la pauvreté de la plupart ?

Napoléon s'emporte contre les bavards, les idéologues qui n'imaginent même pas que cette question se pose. Ils prononcent des compliments inutiles. Un jour, au Tribunat, il les tance.

- Je ne suis pas un roi, leur dit-il. Je ne veux pas qu'on m'insulte comme un roi. On me traite comme un magot royal !

Il les regarde, ces personnages importants, phraseurs, idéologues, qui ont combattu l'autorité sans comprendre que l'autorité est nécessaire, ne fût-ce que pour résister aux révolutions. Ce sont des esprits vagues et faux. Ils vaudraient peut-être mieux s'ils avaient reçu quelques leçons de géométrie.

- Moi, un magot royal ! reprend-il. Je suis un soldat sorti du peuple et me suis élevé moi-même. Puis-je être comparé à un Louis XVI ? J'écoute tout le monde à la vérité, mais ma tête est mon seul conseil !

Il dicte, impérieux. Il corrige. Il se fait juriste. Il aime ce travail d'organisation. Il crée et modèle les institutions. Ici, il ouvre des routes, là, il décide l'obligation de créer des dépôts d'archives. Et conçoit la Banque de France. Entre deux décisions, il chasse parfois le renard autour de la Malmaison, mais sans passion.

Il chevauche, rêveur, emporté par ses pensées.

Il a déjà rétabli la sécurité dans le sud de la France, contre les brigands qui se disaient royalistes. Il continue de pacifier l'Ouest. Il faudrait faire la paix extérieure, celle que le peuple réclame. Reste l'Autriche, qui, à la fin juillet, a repoussé des propositions de paix, reste l'Angleterre, irréductible. Peut-être faudra-t-il reprendre la guerre.

Mais, d'abord, il faut tenir ce que l'on a. De retour dans son cabinet, il écrit à Masséna, qui commande en Italie : « Il est nécessaire de faire des exemples. Le premier village du Piémont qui s'insurgera, faites-le livrer au pillage et brûler. »

C'est la loi des armes.

Si Louis XVI avait fait tirer au canon sur le peuple qui envahissait les Tuileries, il serait peut-être encore un roi. Mais les armes suffisent-elles à maintenir les hommes dans le rang ?

Aux soldats, aux généraux héros de la bataille de Marengo, j'ai fait distribuer des distinctions, sabres, fusils, baguettes d'honneur. C'est eux, qu'on a célébrés.

Mais le peuple ?

Cette question le hante. Que valent les lois si les institutions établies depuis des siècles, et il a vécu cela, sont renversées par une vague énorme ?

Il faudrait en parler, mais même les témoins en sont incapables. Sieyès, qui a tout vécu, n'est qu'un métaphysicien. Peut-être Roederer.

Il dialogue avec Roederer dans le parc de la Malmaison.

- La société ne peut exister sans l'inégalité des fortunes, dit Napoléon. Et l'inégalité des fortunes ne peut exister sans la religion.

Il jette un coup d'œil à Roederer.

C'est un idéologue. Il n'aime pas le langage géométrique que j'emploie. Mes démonstrations dérangent ses arguties hypocrites.

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