- Général, dit Bourrienne enthousiaste, voilà une belle victoire, vous devez être satisfait ?
Le 15 juin, Napoléon attend à son quartier général. Le général Zach et le prince Lichtenstein se présentent, respectueux, vaincus.
Il parle net : « Mes volontés sont irrévocables... Je pourrais exiger davantage et ma position m'y autorise, mais je modère mes prétentions par respect pour les cheveux blancs de votre général que j'estime... »
Les armes font la loi. L'armistice est conclu. Les Français occupent une large partie de la Lombardie, Gênes doit être rendue. Les places fortes sont cédées.
Il reste à utiliser cette victoire en écrivant aux consuls, en évoquant ces grenadiers hongrois et allemands qui, prisonniers, crient : « Vive Bonaparte ! » en concluant : « J'espère que le peuple français sera content de son armée », en confiant : « Quand on voit souffrir tous ces braves gens, on n'a qu'un regret, c'est de ne pas être blessé comme eux, pour partager leurs douleurs. »
Mais rien ne doit être laissé au hasard. Il faut prévoir les cérémonies du retour pour que la victoire de Marengo devienne inoubliable. La garde consulaire doit partir pour Paris et y arriver avant le 14 juillet. Cette fête doit être brillante, « un feu d'artifice serait d'un bon effet ».
Il faut aussi jouer de la modestie. Napoléon dicte une lettre pour Lucien, ministre de l'Intérieur :
« J'arriverai à Paris à l'improviste. Mon intention est de n'avoir ni arc de triomphe, ni aucune espèce de cérémonie. J'ai trop bonne opinion de moi pour estimer beaucoup de pareils colifichets. Je ne connais pas d'autre triomphe que la satisfaction publique. »
C'est ainsi que l'on conquiert l'opinion.
À Milan, elle est acquise. Il parcourt les rues au milieu de l'enthousiasme. Il assiste à un Te Deum au Dôme.
Que savent des sentiments des peuples et de la façon de les gouverner, les « athées de Paris » ?
Il confie aux prêtres italiens, brutalement :
- Nulle société ne peut exister sans morale ; il n'y a pas de bonne morale sans religion. Il n'y a donc que la religion qui donne à l'État un appui ferme et durable. Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole : un vaisseau dans cet état ne peut ni s'assurer de sa route, ni espérer d'entrer dans le port.
Il est le Premier consul, le maître à bord. Puisque c'est ainsi que l'on conduit les peuples, il faut assister au Te Deum, rencontrer le cardinal Martiniana, à Verceil, et lui dire qu'on souhaite un accord, un concordat, avec le nouveau pape, Pie VII.
Que les « idéologues » criaillent, quelle importance !
Qu'ils écoutent ces acclamations de la foule, qui fait le siège de l'hôtel des Célestins à Lyon, où Napoléon vient d'arriver le 28 juin. Elle crie : « Vive Bonaparte ! » À Dijon, le 30 juin, les femmes de la ville répandent des bouquets sur son passage.
À Sens, on a tracé sur le frontispice d'un arc de triomphe les mots :
Comme pour César.
Desaix est mort à Marengo. « Allez dire au Premier consul que je meurs avec le regret de n'avoir pas assez fait pour vivre dans la postérité », a-t-il confié avant de succomber. Et Napoléon apprend que ce même jour, 14 juin, Kléber a été assassiné au Caire par un fanatique musulman.
À deux heures du matin, le 2 juillet 1800, sa voiture entre dans la cour des Tuileries.
5.
Ces cris d'abord lointains, puis qui s'amplifient, ces cris qui le réveillent sont ceux de la foule venue des faubourgs.
Napoléon se lève, s'approche de la fenêtre. Des femmes se pressent contre les grilles des Tuileries. Elles se précipitent quand on les ouvre : « Vive le Premier consul ! Vive Bonaparte ! », hurlent-elles.
Bourrienne entre. Depuis l'annonce de la victoire de Marengo, Paris est en fête, dit-il. Il faut se montrer. Napoléon se présente à la fenêtre de son cabinet de travail. Les cris redoublent, aigus.