Ce sont, reprend Fouché, les royalistes François Carbon, Limoëlan et Saint-Réjeant.
- Celui-ci fut chef des chouans dans le département d'Ille-et-Vilaine. François Carbon, dit lentement Fouché, a été arrêté le 18 janvier, et Saint-Réjant, le 28. Limoëlan est toujours en fuite, mais il est traqué.
Des chouans, répète Fouché. La machine infernale est l'œuvre d'une conjuration royaliste dont l'inspirateur est Georges Cadoudal.
- Qu'on le trouve, qu'on l'arrête, dit seulement Napoléon.
S'est-il trompé ? Fallait-il ne pas proscrire ces jacobins qui n'avaient en rien contribué à mettre sur pied cette « machine infernale » ?
Mais ne voulaient-ils pas, eux aussi, m'abattre ?
Ne sont-ils pas tout aussi dangereux, plus destructeurs, même, que les royalistes ?
Le 9 janvier, les jacobins compromis dans la
À minuit, dans la nuit du 29 au 30 janvier 1801, se tient aux Tuileries un Conseil secret.
Napoléon préside, entouré des deux autres consuls et de quelques personnalités, Portalis, Talleyrand, Roederer.
On s'interroge sur le recours en grâce de quelques-uns des condamnés de la
La grâce est rejetée pour tous.
Ils sont guillotinés le 31 janvier.
Napoléon a dit, devant le Conseil d'État, le 26 décembre, s'agissant de « la vengeance qui doit être éclatante pour un crime aussi atroce » :
- Il faut du sang.
9.
Napoléon s'arrête sur le seuil du salon où Joséphine, comme chaque soir aux Tuileries ou à la Malmaison, reçoit.
Il observe Laure Junot. Il l'a connue alors qu'elle était enfant. Mais il n'avait pas prêté attention à celle qui n'était pour lui, alors, que la fille de Mme Pernon, une amie des Bonaparte habitant Montpellier. Mme Pernon avait veillé Charles Bonaparte au cours de son agonie, dans cette ville en 1785. Napoléon lui avait à plusieurs reprises exprimé sa reconnaissance, et il avait même songé à l'épouser, bien qu'elle eût plusieurs années de plus que lui.
Il regarde Laure avec plaisir. Elle est vive, tout son corps exprime la verve et la vigueur. Est-elle belle ? Qu'est-ce que cela signifie ? Elle est fraîche, sans fard, noiraude aux mouvements vifs, à la taille un peu lourde parce qu'elle est enceinte, mais si plaisante à regarder, comme une plante vigoureuse et saine.
Il effleure des yeux Joséphine. Il a un pincement de désespoir et de colère. Elle est si maquillée, si pleine d'artifices, que parfois il désire presque, malgré lui, blesser, agresser cette femme vieillissante à laquelle il est attaché pourtant mais qui, si elle lui a donné du plaisir, si elle lui a été utile, l'a aussi trompé, humilié, et maintenant est incapable de donner naissance à un fils.
Il détourne les yeux, parce qu'elle l'a vu. Et il ne veut pas qu'elle devine ses pensées. Mais elle les connaît.
Dans le parc de la Malmaison, il y a deux jours, il l'a contrainte à une promenade en calèche avec Laure Junot. La propriété dépasse les trois cents hectares.
Il a remarqué la mine renfrognée de Joséphine quand elle est montée en voiture. Mais il a donné l'ordre au cocher de lancer la voiture et il a sauté à cheval, comme un jeune homme. Et après tout, il n'a pas encore trente-deux ans ! Joséphine est plus vieille que lui, il en a tellement conscience maintenant. Il regarde Laure Junot, qui est assise dans la voiture. Et la vivacité de la jeune femme l'enchante et l'agace.
Lorsque la voiture est arrivée devant un ruisseau, Joséphine a répété qu'elle ne voulait pas passer, qu'elle avait peur. Il a pris Laure dans ses bras, il a traversé à pied et il a ordonné au postillon de fouetter les chevaux. Joséphine a sangloté. Il s'est senti coupable et entravé par cette femme. Pourquoi lui n'aurait-il pas une épouse, une femme comme Laure Junot ?
- Tu es folle, a-t-il maugréé, parce qu'il a senti Joséphine jalouse de Laure.
Elle sait que parfois, tôt le matin, quand Laure séjourne seule à la Malmaison, Junot restant à son poste de commandement à Paris, Napoléon va la retrouver pour le plaisir de la voir et de la toucher comme un aîné espiègle dont les intentions et les gestes s'arrêtent au bord de l'équivoque.
- Tu sais que je hais comme la mort toutes ces jalousies, dit-il à Joséphine. Allons, embrasse-moi et tais-toi. Tu es laide quand tu pleures. Je te l'ai déjà dit.
Elle a séché ses larmes, mais elle n'a pas cessé d'être jalouse. De Laure Junot ou de Giuseppina Grassini.
Celle-là, l'Italienne, il va la chasser de Paris. Elle n'accepte pas de n'être qu'à lui, d'être ainsi contrainte de l'attendre dans la maison qu'il a voulue pour elle et où il la retrouve au milieu de la nuit, quand enfin il peut cesser de signer des courriers, d'écrire, de travailler avec les consuls, les aides de camp ou les ministres.