Читаем Napoléon. Le soleil d'Austerlitz полностью

Il entre dans le bain, il s'allonge. Son mamelouk place de nouvelles bûches dans le feu. Il a besoin de cette chaleur. Il doit toujours, dans la journée, chasser cette sensation de froid qui pénètre en lui. Quand il sort, il croise frileusement sur sa poitrine les deux revers de sa redingote de drap gris.

Peut-être est-ce sa maigreur qui l'empêche de lutter contre le froid. Ce matin, il claquait des dents dans son cabinet alors qu'on commençait à lui lire les articles des journaux anglais et allemands. Les français lui importent peu. Parfois il dicte lui-même les articles !

Il a arrêté un instant le secrétaire et, tourné vers Bourrienne, il a lancé :

- J'ai froid. Vous voyez comme je suis sobre et mince. Eh bien, on ne m'ôterait pas de l'idée qu'à quarante ans je deviendrai gros mangeur et que je prendrai beaucoup d'embonpoint. Je prévois que ma constitution changera et, pourtant, je fais assez d'exercice. Mais, que voulez-vous ? c'est un pressentiment, cela ne peut manquer d'arriver.

Il ferme les yeux. L'eau brûlante le recouvre entièrement. Tous ses muscles se relâchent peu à peu, même celui de cette épaule droite qui, parfois, quand viennent la colère et l'émotion, se contracte, et l'épaule se soulève dans une sorte de mouvement nerveux qu'il ne peut contrôler.

L'eau apaise aussi ces brûlures et ces démangeaisons qui l'irritent souvent dans la journée. Il suffit parfois de l'une de ces correspondances de l'étranger, qui montre l'entêtement de Pitt et des Autrichiens, ou bien d'un courrier du général Moreau, qui regrette, au nom de la prudence, le plan d'attaque par la Suisse, afin de tourner les Autrichiens, et qui prévoit de franchir le Rhin, frontalement. Mais il ne faut pas, pas encore, critiquer ou briser Moreau. Sa réputation est trop établie. Il est en relation avec trop d'officiers. La prudence, avec ceux qui disposent du pouvoir sur les hommes en armes, est de règle.

À la fin de la matinée, après avoir lu les rapports de police, signé les réponses aux lettres, dicté des directives et des instructions, il est passé dans le cabinet topographique, réservé aux cartes. Il veut connaître le déplacement de toutes les armées, leur approvisionnement. Il faut que les espions anglais et autrichiens s'imaginent que l'armée de réserve que l'on constitue à Dijon n'est qu'un leurre destiné à leur faire croire que se constitue un corps de bataille. Il faut donc parler de l'armée de réserve avec emphase pour les conforter dans cette idée d'une action de propagande et cependant la constituer.

De cela, il n'a rien dit aux deux autres consuls, ni au Conseil d'État, auquel il a rendu visite. Cambacérès, qui n'aime pas les Assemblées, a craint que le Conseil d'État ne prenne trop d'importance, ne soit le siège d'une opposition. Il ne connaît pas les hommes, décidément, même s'il les aime jeunes et bien faits ! Il est vrai que c'est leur corps plus que leur esprit, qui l'attire.

Il suffit, pour domestiquer les hommes, de les gâter. L'expression est juste, n'est-il pas vrai ? « Je traiterai si bien ceux que je placerai au Conseil d'État qu'avant peu cette distinction deviendra l'objet de l'ambition de tous les hommes de talent qui désirent parvenir. »

Il y a encore quelques bavards au Tribunat, des membres de cette Assemblée qui disent : « Dans ces lieux, si l'on osait parler d'une idole de quinze jours, nous rappellerions qu'on vit abattre une idole de quinze siècles », d'autres, comme ce Benjamin Constant, qui évoquent un « régime de servitude et de silence ».

Napoléon sort du bain. Le souvenir de ces phrases vite étouffées sous les protestations et les excuses de leurs auteurs suffit à briser ce calme qui peu à peu s'était installé en lui.

- Je vais couper les oreilles à ces avocats, dit-il à l'aide de camp devant lequel il rappelle ces propos.

Il le retient. Ce ne sont pas là des façons d'agir.

Il sort du bain. Son mamelouk, aidé de deux petits Abyssiniens, qui servent aussi à table, le sèche.

Il va descendre chez Joséphine.

Il faudrait lui parler d'argent, des dettes folles qu'elle accumule pour ses bijoux, ses parures, ses chapeaux, le mobilier, les bibelots.

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