- Si vous ne faites pas la paix, je marcherai sur vous avec cent mille hommes. J'incendierai vos villes, je brûlerai vos chaumières.
Il s'interrompt, change de ton.
- Il n'a déjà que trop coulé de sang français depuis dix ans. Il tourne le dos. L'entretien est terminé.
Maintenant il faut agir, puisque la séduction et la menace n'ont pas réussi. Il faut exiger la soumission des insurgés.
« Il ne peut plus rester armés contre la France que des hommes sans foi et sans patrie, de perfides instruments d'un ennemi étranger. » Il faut renforcer les troupes pour appuyer les mots.
En janvier 1800, les premières redditions ont lieu. Cadoudal, l'un des chefs chouans les plus déterminés, renonce lui-même à la lutte en février.
Napoléon ne manifeste aucune joie, comme si, dans la tâche qui est la sienne, il savait qu'il n'y a pas de fin.
Il doit organiser l'administration des départements, recevoir un matin les banquiers, obtenir d'eux un prêt de trois millions. Il doit reprendre en main les armées, flatter les généraux, surveiller Augereau, Moreau surtout, le plus habile, le plus glorieux. Lui laisser entendre qu'il a la meilleure part, et le lui écrire : « Je suis aujourd'hui une espèce de mannequin qui a perdu sa liberté et son bonheur. J'envie votre heureux sort : vous allez, avec des braves, faire de belles choses. Je troquerais volontiers ma pourpre consulaire pour une épaulette de chef de brigade sous mon ordre. »
Moreau ne sera sans doute pas dupe et pourtant il ne s'agit pas que de mots habiles, ceux qu'un renard adresse à un corbeau.
Napoléon, dans le cabinet de travail du rez-de-chaussée, là où il a reçu Hyde de Neuville et d'Andigné - et Fouché lui a rapporté qu'on soupçonne le général Moreau d'entretenir des liens avec les royalistes, peut-être Georges Cadoudal -, éprouve la sensation du vide en lui.
Il a la nostalgie de l'intensité des veilles de bataille, de la fusion qui s'opère alors entre les hommes, soldats et officiers, et de la force invincible qu'ils imaginent représenter au moment où, dans un même élan, ils chargent.
Il voudrait retrouver cela. Il cherche en vain cette émotion depuis qu'il est Premier consul, parce que, dans l'administration des hommes, dans le gouvernement des choses qu'implique sa charge, la « fusion » n'est qu'un mirage qu'on poursuit.
Il revient donc souvent aux questions militaires. D'ailleurs, qui peut croire que la paix va s'établir sans nouvelles victoires ?
« Vive Bonaparte ! Vive la paix ! » lance-t-on pourtant sur son passage.
Chaque fois qu'il entend la foule crier ainsi, Napoléon se raidit. C'est cela qu'ils veulent ! Et lui aussi ! Mais sans illusion.
Il a écrit au roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, qui n'est pas un ennemi, en lui renouvelant des « vœux sincères pour la prospérité et la gloire de Votre Majesté ».
Il a écrit à l'empereur d'Autriche François II : « Étranger à tout sentiment de vaine gloire, le premier de mes vœux est d'arrêter l'effusion de sang qui va couler. »
Il a écrit à George III, roi d'Angleterre : « La guerre, qui depuis huit ans ravage les quatre parties du monde, doit-elle être éternelle ? N'est-il donc aucun moyen de s'entendre ?.. La France et l'Angleterre, par abus de leurs forces, peuvent longtemps encore, pour le malheur de tous les peuples, en retarder l'épuisement ; mais j'ose le dire, le sort de toutes les nations civilisées est attaché à la fin d'une guerre qui embrase le monde entier. »
La paix !
Il place sur sa table les courriers de ces agents que Talleyrand et Fouché entretiennent dans les différents pays d'Europe ou dans les milieux de l'agence royaliste de Paris. À Londres, à Vienne, on se moque de son désir de paix. Pitt affirme que le moyen le plus sûr de l'établir serait la restauration de la royauté à Paris. Et il a ajouté que le Premier consul est « le fils et le champion de toutes les atrocités de la Révolution ! »
Que faire alors ?
Réorganiser l'armée, créer une armée de réserve que l'on pourra déplacer rapidement d'un front à l'autre et, surtout, penser au soldat, car tout dépend de lui. On ne peut vaincre que s'il accepte de mourir. Pour cela, il faut qu'il croie à son chef, qu'il le voie près de lui, qu'il soit récompensé lorsqu'il accomplit un acte de bravoure.
Napoléon crée des distinctions - fusils, trompettes, baguette d'honneur - pour les grenadiers, les cavaliers, les tambours. Il s'emporte quand un membre de l'Institut parle avec dérision de ces « hochets de vanité ».
« C'est avec des hochets qu'on mène les hommes, répond-il... Croyez-vous que vous feriez battre des hommes par l'analyse ? Jamais. Elle n'est bonne que pour le savant dans son cabinet. Il faut au soldat de la gloire, des distinctions, des récompenses. »