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Qval Frana haussa les épaules, s’assit sur le bord du lit et se pencha à son tour sur Alma. L’odeur aigre de sa robe de laine végétale masqua en partie les relents de terre humide qui imprégnaient l’air confiné de la cellule. Un sourire éclaira le foisonnement de rides qui craquelaient son visage. Sa peau cuivrée, comme recuite par Jael – alors qu’elle ne sortait pratiquement jamais des bâtiments de Chaudeterre –, jurait avec ses cheveux blancs coupés court et ses yeux d’un bleu dilué, presque enfui. Elle avait sans doute, et depuis longtemps, dépassé les deux cents ans. De la main, elle ordonna à Qval Anzell de s’éloigner et posa sur Alma un regard bienveillant.

« Est-ce que tu te sens mieux ? »

La novice répondit d’un clignement de cils.

« Le plus dur est passé, reprit la vieille femme. Nous avons bien cru te perdre. Cela fait cinq jours que Qval Anzell se bat pour te ramener à la vie. »

Alma leva les yeux sur la guérisseuse qui se tenait près de la tenture de l’entrée, les bras croisés, l’air renfrogné, la robe chiffonnée, constellée de taches. Qval Anzell enseignait ses secrets aux djemales qui souhaitaient se consacrer au sacerdoce des belladores, à l’art de la guérison. Il était rare qu’elle s’occupât personnellement d’une malade, et Alma, même si elle répugnait à se frotter à son caractère épineux, lui en fut reconnaissante.

« Ton pied droit, celui que tu es parvenue à retirer de l’eau, ne gardera aucune séquelle de ton séjour dans la grotte. Ton pied gauche, en revanche… »

Qval Frana marqua un temps de pause pendant lequel, du dos de la main, elle caressa tendrement la joue d’Alma. Un geste inattendu de sa part, un geste de mère, elle qui avait cheminé toute son existence sur le sentier que les djemales, selon leur humeur du moment, appelaient « stérile », « aride », « ardent », « pur », « neutre » ou « vrai ».

« Nous ne sommes pas contraintes de l’amputer, rassure-toi, ajouta la vieille femme. Cependant, il ne récupérera ni sa forme initiale ni sa souplesse. Qval Anzell pense que tu pourras remarcher normalement mais que tu te fatigueras vite. De toute façon, nous ne sommes pas des marcheuses, à Chaudeterre. La plus longue distance que nous sommes amenées à parcourir, c’est celle qui mène de la cellule au jardin, au verger et aux salles communes ! »

Les paroles de Qval Frana cessèrent tout à coup d’être des sons vides de sens dans l’esprit d’Alma.

« Je ne pense pas que tu souhaites grossir les rangs de nos sœurs séculières, n’est-ce pas ? »

Alma secoua lentement la tête dans un froissement d’oreiller qui résonna à l’intérieur de son crâne avec la force d’une averse de cristaux de glace. C’est alors seulement qu’elle remarqua la présence des multiples petits pansements collés sur ses cuisses, son ventre, sa poitrine et son visage.

« Ton handicap n’aura donc que des conséquences mineures sur ton existence. Et pour cela, tu dois être reconnaissante au présent, à l’éternel, à l’ordre invisible d’Ellula. Et à Qval Anzell, bien entendu…

— Je n’attends aucune gratitude de qui que ce soit ! protesta la belladore. Est-ce que le présent s’embarrasse de ce genre de considération ?

— Si vous n’avez pas besoin de recevoir de la reconnaissance, Qval Anzell, admettez que les autres, celles que vous avez soignées ou formées, puissent ressentir le besoin de vous la signifier.

— Qu’elles la signifient en ce cas, mais pas devant moi ! Je ne suis ni meilleure ni pire qu’elles, je ne fais que suivre mon chemin. Accomplir mon temps. Et parfois le chemin est dur et le temps long ! »

Les deux femmes gardèrent pendant quelques instants un silence maussade, comme renvoyées à leurs blessures intimes. Alma exploita ce moment de répit pour recouvrer son intégrité, pour renouer avec cette expérience à la fois si simple et si complexe d’être un esprit localisé dans un corps. Elle ressentit non seulement les brûlures profondes à ses pieds mais celles, plus bénignes, semées par les gouttes bouillantes sur sa peau. Il y avait une part d’elle qui se réjouissait de revenir à la vie et l’autre qui regrettait de ne pas être morte. Elle attendit que Qval Frana pose à nouveau les yeux sur elle pour entrouvrir la bouche et poser la question qui la tracassait. La vieille femme l’encouragea du regard et, le front plissé, essaya de saisir quelques mots dans le gargouillement inaudible qui sortit de sa gorge.

Alma recommença en s’appliquant à détacher ses syllabes.

« J’ai é-chou-é… é-chou-é… Je suis… je suis ren-vo-yée de l’or-dre, n’est-ce pas ? »

Elle éprouva la même déception qu’au sortir de sa séance d’éveil dans la grotte, la même colère, la même détresse, la même humiliation, le même dégoût d’elle-même… Qval Frana eut un hochement de tête qui exprimait à la fois la compassion et la réprobation.

« Je n’ai plus rien à faire ici, dit Qval Anzell en écartant la tenture. Mes assistantes viendront deux fois par jour étaler les onguents et renouveler les pansements. Je dois retourner à mes élèves. Je les ai négligées depuis trop longtemps. »

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