Elle s’éclipsa sans attendre la réponse de sa supérieure. Qval Frana se leva et s’approcha de la petite lucarne de la pièce, qui, donnant sur un autre couloir, ne captait qu’une lumière morne, sale.
« L’épreuve du Qval est symbolique, pas réelle, dit-elle d’une voix sourde. Quel intérêt, sainte Djema, oui, quel intérêt aurions-nous à nous plonger dans ce bassin ? À mesurer notre éveil, notre conscience du présent ? Est-il vraiment besoin de risquer sa vie pour évaluer un état qui, par définition, n’est pas quantifiable ? Qval Djema elle-même s’est-elle réellement immergée dans le Qval, dans l’eau bouillante de la cuve du vaisseau ? Ou a-t-elle seulement ouvert une porte spirituelle qui nous permette de la rejoindre par la prière, par l’esprit ? »
La vieille femme se retourna et dévisagea Alma avec froideur, avec sévérité. Elle n’était plus l’aînée inquiète désormais, la mère de substitution, mais la responsable du conventuel, de l’enseignement, l’héritière de Qval Djema.
« Ce que je cherche à te dire, jeune présomptueuse, c’est que tu as pris à la lettre ce qui n’était qu’un rituel symbolique.
— Mais les au-tres… les au-tres…
— Tes compagnes de noviciat ? Pas une d’entre elles n’aurait eu l’idée saugrenue de tremper ne serait-ce qu’un doigt dans ce bassin ! Elles se sont simplement retirées dans la solennité de la grotte pour abandonner leur robe de novice et revêtir l’habit de djemale. Pour rejoindre Qval Djema de l’autre côté de la porte symbolique. Et j’étais persuadée que tu en ferais autant. J’étais à mille lieues de supposer que…
— Mais… mais Qval Dje-ma, elle a un jour dis-pa-ru dans le bas-sin… »
Qval Frana revint s’asseoir sur le bord du lit et prit les mains d’Alma dans les siennes. À nouveau, l’odeur aigre qui s’échappait de la robe sombre de la vieille femme frappa la novice.
« Tes instructrices ne t’ont donc rien enseigné ? Elles ne t’ont pas appris à reconnaître le langage des signes, des symboles ? »
Si, bien sûr, et certaines d’entre elles avaient insisté sur l’aspect allégorique de l’histoire de Djema, de l’aventure des passagers de
« Elles ne sont pas res-pon-sa-bles… Je ne les ai pas… é-coutées… »
Qval Frana se leva, se dirigea vers la sortie de la cellule et écarta la tenture.
« Tu as besoin de repos. Quand tu seras remise, je t’emmènerai à nouveau dans la grotte. Et là, tu diras adieu à tes rêves de novice, Alma, tu deviendras une djemale, une femme engagée sur le chemin de la connaissance. Je te crois faite pour la vie de recluse. Pour le quatrième sentier. Le plus exigeant, le plus exaltant de tous. »
Longtemps après que Qval Frana eut quitté la cellule, Alma eut l’impression de flotter entre les éclats de son rêve brisé. Elle ne pourrait jamais prendre sa revanche sur son passé. En l’expédiant à Chaudeterre, sa mère s’était arrangée pour la dépouiller de tout, même de ses rêves. Elle qui avait toujours répugné à verser des larmes, elle pleura silencieusement, longuement. Elle en ressentit du soulagement, du bien-être même, et finit par s’endormir.
CHAPITRE III
LE VISITEUR