Читаем Orchéron полностью

Bien que posée sur le mode anodin, la question figea les sangs d’Orchale. Comme elle l’avait pressenti, la répartition des ressources n’était qu’un prétexte. Arléan fili Gej avait en cet instant le regard aiguisé d’un prédateur, d’un… chasseur flairant une piste. Incapable de contenir son inquiétude, elle se leva et se rapprocha du garde-corps de bois qui entourait la terrasse. Les plis de sa robe de laine végétale empesée de sueur lui entravaient les jambes.

De la porte ouverte de la maison principale jaillissaient les cris et les rires des permanents chargés de préparer le repas du soir. Montaient également les odeurs des gâteaux de manne parfumés à l’eau d’onis, une fleur violette et riche en arôme.

Orchale chercha des yeux la silhouette d’Orchéron parmi les batteurs, puis, ne le voyant pas, elle inspecta du regard les escaliers qui menaient aux greniers des silos. Elle finit par distinguer sa chevelure bouclée et son torse massif devant le portail grand ouvert de l’étable. Le fléau posé sur l’épaule, il conversait avec Mael, la plus jeune et la plus jolie de ses filles. Il paraissait, sinon heureux – qui pouvait se vanter d’être heureux en ce bas monde ? -, du moins apaisé, content de partager la fraternité laborieuse des battages. Il lui arrivait de rester prostré pendant des jours, les traits crispés, les yeux mi-clos, les joues baignées de larmes, comme prisonnier d’une souffrance dont personne ne semblait en mesure de le délivrer. Elle n’avait pas réussi à percer son mystère, raison pour laquelle sans doute, bien qu’ils ne fussent pas liés par le sang, elle veillait sur lui avec autant voire davantage d’attention que sur ses dix autres enfants.

« Quelle importance ? murmura-t-elle sans se retourner. Que savez-vous de l’amour maternel ? »

Arléan se leva à son tour et, précédé par l’odeur de ses vêtements de cuir, vint la rejoindre de sa démarche boitillante.

« J’ai choisi le chemin des volages, m’elle, déclara-t-il avec une emphase grotesque. J’ai semé quelques enfants à droite, à gauche, pour sûr, mais c’est pas pour autant que je prétends connaître quelque chose à l’amour… euh, paternel.

— Et vous ne le regrettez pas ?

— Il m’arrive bien de me demander quelle fichue tête peuvent avoir mes gosses, mais à quoi me servirait de revenir sur ma décision ? Les enseignements du grand Ab…

— On leur fait dire ce qu’on veut ! coupa Orchale.

— C’est valable pour tout le monde, m’elle. »

Elle s’aperçut que l’attention d’Arléan s’était à son tour portée sur Orchéron et se tourna vers lui pour le contraindre à la fixer dans les yeux.

« Vous avez obtenu les renseignements que vous souhaitiez, lakcha. En partant maintenant, vous avez le temps de regagner Cent-Sources avant la tombée de la nuit.

— Ma bête traîne la patte, tout comme moi. Il me paraît plus sage de passer la nuit dans votre mathelle et de repartir à l’aube. Nous en profiterons pour parler des nouvelles règles de répartition de la viande et des peaux. »

Bien que consciente de la crispation de ses lèvres et de ses muscles faciaux, elle s’efforça de ne rien laisser paraître de sa contrariété. Elle ne commencerait à se détendre que lorsqu’il aurait enfourché son yonk domestique et se serait évanoui dans l’herbe jaune de la plaine. Elle jugea déplacée sa façon de l’examiner, de l’évaluer comme une proie à portée de lame. Se figurait-il, en plus, qu’elle allait lui ouvrir la porte de sa chambre ?

« À votre aise. Vous coucherez dans le silo. Ma maison est déjà trop petite pour… »

Le son lointain mais puissant de la corne déchira la rumeur sourde du mathelle. Un silence tendu descendit sur la cour intérieure soudain peuplée de statues.

« Une alerte aux umbres, marmonna Arléan, les yeux levés sur un ciel d’un mauve profond annonciateur du crépuscule.

— En fin d’après-midi ? s’étonna Orchale. Ils ne se montrent d’habitude que le matin.

— Il en va de ces salopards comme des dégénérés, m’elle, on ne peut jamais prévoir ce qui leur passe par la tête. »

« Reviens, Orchéron ! Ils vont t’emporter s’ils te voient. »

Orchéron ne tint pas compte de la supplique de Mael. Restés à l’intérieur du silo tandis que les autres, à la deuxième sonnerie, refluaient en désordre vers l’entrée principale de la maison, ils étaient montés dans l’un des greniers, avaient étalé leurs vêtements sur la paille de manne et, vêtus de leurs seuls sous-vêtements de laine, ils s’étaient allongés côte à côte, baignant dans leur souffle, leur sueur et leurs odeurs. Malgré la chaleur étouffante qui régnait sous le toit du bâtiment, Mael avait commencé à trembler de peur et de froid, et Orchéron l’avait prise dans ses bras pour la réconforter. Ils étaient à peu près du même âge, vingt-neuf ans pour elle, une trentaine pour lui – on lui avait attribué d’autorité l’âge de onze ans lorsque Aïron, son père adoptif, l’avait recueilli et emmené au mathelle.

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