Читаем Orchéron полностью

En équilibre sur le rebord de la lucarne, il se retourna sans pour autant rentrer la tête et les épaules à l’intérieur du grenier et enveloppa Mael d’un regard à la fois tendre, moqueur et brûlant. La lumière du crépuscule naissant teintait de mauve la peau hâlée et luisante de sa sœur dont la chevelure dorée se déployait sur la paille blanche comme les filaments scintillants d’une éclipte, une créature énigmatique qui flottait de temps à autre à la surface de la rivière Abondance. Le sourire qu’elle lui adressa ne masquait pas sa frayeur. Il eut d’elle un désir brutal qui lui assécha la bouche.

« Je t’attends, Orché. »

Les bras tendus, les yeux implorants, Mael ne l’invitait pas seulement à venir s’allonger à ses côtés sur la paille. Ils en avaient fini avec les jeux de l’enfance. À chaque baiser, à chaque caresse, à chaque frôlement, ils risquaient désormais de rompre les amarres, de voguer sur des courants violents qui, Orchéron en était convaincu, les précipiteraient dans un puits d’amertume. Même s’ils n’étaient pas frère et sœur de sang, personne dans le domaine n’accepterait leur liaison, parce que personne, à Cent-Sources et dans les autres mathelles, ne tolérerait l’union d’un homme et d’une femme portant le nom de la même mère. La présence de ce chasseur à la mine sinistre qu’il avait aperçu en grande discussion avec Orchale sur la terrasse avait déclenché en lui une sonnerie d’alarme.

« Je veux d’abord voir les umbres », murmura-t-il, la gorge nouée.

Elle se redressa sur un coude et retira délicatement les balles de manne collées à ses seins. Bien qu’à trois ou quatre pas d’elle, il percevait son odeur, reconnaissable mais plus forte que d’habitude, grisante, presque oppressante.

« Nous sommes déjà fous d’être restés ici, chuchota-t-elle. Maman doit être inquiète. Elle ne me le pardonnera jamais s’il t’arrive quelque chose. »

Elle le fixa d’un air provocant, dénoua son sous-vêtement et s’en servit comme d’un linge pour s’essuyer le corps.

« Cesse de faire l’enfant, Orché. Viens. »

Orchéron eut l’impression que son souffle précipité résonnait dans le silence du silo avec la force d’un vent d’Agauer. L’envie le tortura de se ruer sur Mael, d’égarer ses mains et ses lèvres sur sa peau cuivrée, de plonger la tête entre ses cuisses, de goûter son fruit fendu, de se débarrasser de son propre pagne, de s’offrir au désir de sa sœur. Puis il ressentit dans la poitrine une piqûre familière, ténue pour l’instant, comme une épingle de corne enfoncée dans le cœur, poussa un gémissement assourdi, renversa la tête en arrière et s’adossa au montant de la lucarne dans l’attente de la crise. Pour l’avoir expérimenté un nombre incalculable de fois, il connaissait parfaitement le processus implacable de ces poussées de souffrance qui le terrassaient parfois pendant près d’une semaine. La douleur, indicible, insoutenable, commençait par ce petit pincement dans la région du cœur, s’étendait rapidement à la poitrine, progressait en même temps vers le cerveau et le bassin, se propageait enfin dans ses membres pour le saisir tout entier et le précipiter dans un gouffre où des courants froids semblaient dénuder et mordre chacun de ses nerfs. Après une première réaction de révolte, une colère incontrôlable qui l’entraînait à frapper murs, piliers, portes, yonks, hommes ou femmes dont le seul tort était de passer à portée de ses poings, il s’affaissait comme un sac vidé de ses grains sur la terre battue de la cour, sur les bottes de manne d’un silo ou sur le parquet de sa chambre, il restait prostré pendant des nuits et des jours entiers sans boire ni manger, sans faire autre chose qu’émettre des geignements à fendre l’âme et verser des larmes intarissables. On l’avait parfois retrouvé étendu dans l’étable, souillé d’excréments de yonk, ou recroquevillé sur le bord de la rivière Abondance qui déroulait ses méandres à une demi-lieue du mathelle. Le seul soin qu’on pouvait alors lui donner était de lui étaler une couverture de laine sur le corps pendant l’hivernage ou lui verser un peu d’eau fraîche sur le visage pendant la saison chaude.

« Orché, est-ce que ça va ? » souffla Mael.

Il lui ordonna, d’un ample mouvement du bras, de s’éloigner. Dégrisée, elle se releva, enfila son sous-vêtement et sa robe sans prendre le temps d’épousseter les barbes et les brins de manne. Il partageait tout avec elle, sauf ces phases d’abattement pendant lesquelles il ne la reconnaissait plus. Elle avait tenté à plusieurs reprises de le rejoindre de l’autre côté de son mur de souffrance, mais il ne lui adressait aucun signe, il ne présentait aucune prise, aucune faille, et elle avait dû se résigner à le laisser seul dans son inaccessible ailleurs.

« Rentre au moins à l’intérieur avant qu’il ne soit trop tard », cria-t-elle, les larmes aux yeux.

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