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Aphya et Mung, les deux premiers satellites du nouveau monde, jetaient un regard gris, myope et dissymétrique sur le domaine. Vêtue d’une courte tunique échancrée, Orchale appréciait les effleurements de la brise sur ses jambes et ses hanches nues. La récolte de manne était engrangée, la maison plongée dans une obscurité paisible, Jol, son constant le plus viril, le plus endurant, l’avait rassasiée avec sa vigueur habituelle, et pourtant, malgré l’apaisement des sens, malgré les courbatures et la fatigue engendrées par les quatre jours de battage, elle n’avait pas trouvé le sommeil. Une angoisse sourde, oppressante, l’avait jetée hors du lit au milieu de la nuit. Elle s’était dit qu’un peu de marche, un peu d’air l’aideraient à dissiper ses idées noires, mais, après avoir parcouru une bonne dizaine de fois le chemin qui partait de la cour intérieure et traversait le verger et le potager pour rejoindre les champs de manne, la pointe était toujours là, fichée en travers de sa poitrine et de son ventre, tenace, douloureuse. Jusqu’alors, la gestion du domaine, les tâches à répartir, les réparations à effectuer avant l’amaya de glace avaient entièrement occupé son esprit, mais l’inquiétude, semée comme une graine empoisonnée par la visite d’Arléan fili Gej, n’avait cessé de grandir sous le tumulte de ses activités, et, polie par la paix nocturne, elle se révélait désormais dans toute son étendue, dans toute sa virulence.

L’envie la prit soudain de se laver, de se débarrasser de l’odeur forte de Jol, des restes de semence qui lui poissaient l’intérieur des cuisses. Il en allait de son constant comme d’un feu dans l’âtre : elle appréciait sa chaleur, sa verdeur, sa puissance au moment de l’acte, elle n’aimait pas les résidus du lendemain, les odeurs et les douleurs froides, la sensation de grisaille, de flétrissure dans la lumière sale de l’aube. Elle s’approcha de l’une des quatre fontaines de la cour intérieure, retira sa tunique, s’aspergea copieusement le visage, la poitrine et le ventre, puis elle enjamba la margelle et s’accroupit dans le bassin. Elle laissa à son corps le temps de s’accoutumer à la fraîcheur de l’eau et s’absorba un moment dans la contemplation de la fontaine, une grossière statue de pierre censée représenter, comme les trois autres, le corps massif du grand Ab. Tirée d’une nappe phréatique par un système de siphon qu’il fallait réamorcer au début de la saison sèche, l’eau s’écoulait en un filet de la largeur de deux doigts, avec une telle régularité qu’elle prenait l’apparence d’un tube cristallin coincé entre le bec verseur, le sexe recourbé du grand Ab et la surface du bassin. Des chêneaux d’argile fixés sur le pourtour de la margelle recueillaient ses débordements et les dirigeaient vers la canalisation qui les acheminait vers l’étable, le verger et le potager.

Orchale se demandait souvent si les nappes n’allaient pas finir par s’épuiser. Les deux étés précédents, les quatre statues n’avaient pissé qu’avec une parcimonie alarmante – et irrévérencieuse : la compassion du grand Ab ne passait-elle pas pour intarissable ? Elle s’en était ouverte aux autres mathelles lors de la dernière assemblée. D’aucunes avaient partagé ses préoccupations, mais les autres, la majorité, s’étaient alignées sur la position des mères de Cent-Sources, les reines des domaines originels regroupés autour de la colline de l’Ellab : les pluies de préhivernage et la fonte des glaces des montagnes de l’Agauer suffisaient amplement à reconstituer les nappes et les puits. La générosité de leur planète d’accueil n’avait pas de limites selon elles. Le seul danger venait des protecteurs des sentiers. C’était d’ailleurs pour combattre l’influence grandissante des « couilles-à-masques » que les mathelles avaient décidé de tenir des assemblées clandestines au début et à la fin de la saison sèche, à l’heure de Mung et de Maran, dans un endroit différent à chaque fois. Prévenues au dernier moment par des messagères djemales, elles s’y rendaient à pied par des chemins détournés. Il fallait à certaines comme Orchale plus d’un jour et une nuit pour gagner les lieux des rassemblements. De ces réunions nocturnes dont elle n’avait pas manqué une seule elle était ressortie avec un sentiment accru de solitude et d’impuissance.

Elle frissonna, remua les bras et les jambes pour chasser son engourdissement. Le troisième des satellites, Maran, le plus volumineux, le plus brillant, avait fait son apparition au-dessus du toit du silo. Elle distinguait, disséminées le long de son croissant gris, des taches blanches qui étaient des mers de glace selon Karille, la djemale attachée au domaine. Le fourmillement scintillant des étoiles absorbait peu à peu les figures falotes d’Aphya et Mung.

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