La pièce était nue hormis quelques bottes de paille rassemblées dans un coin, recouvertes de draps de laine végétale et pourvues de deux oreillers. Visiblement nettoyée, aérée, elle embaumait d’un parfum reconnaissable entre tous, celui des cluettes, des fleurs aux pétales pourpres plus couramment appelées « pousse-l’amour ». Une cruche d’eau, deux gobelets, une coupe remplie de fruits et de parts de gâteau de manne trônaient sur une table basse. Mael avait bien préparé son affaire, tellement bien qu’Orchéron se sentait pris au piège, dans l’incapacité de lui refuser quoi que ce soit. La gorge sèche, il se versa un gobelet d’eau et l’avala d’une traite.
« De toi, non, des autres, oui…
— On s’en fiche, des autres ! s’écria Mael en se pendant à son cou. C’est toi que j’aime, toi que je veux. »
Il baissa la tête pour se défaire de l’emprise de son regard, entrevit, par l’encolure de sa robe, la naissance de ses seins qu’il avait si souvent caressés en pensée, admit dès lors sa défaite, une reddition qui n’avait pas le goût âcre des regrets mais celui, apaisant, du consentement. Le passage des umbres, s’il ne l’avait pas délivré de ses peurs, l’avait invité à les regarder en face, à les affronter. Les terribles prédateurs avaient fondu sur lui à la vitesse d’un éclair, l’avaient plongé dans une obscurité glaciale, intolérable, heureusement très brève, mais ils l’avaient épargné et s’étaient retirés en ouvrant une brèche sur son enfance. Contrairement à l’habitude, sa souffrance s’était estompée quelques instants seulement après leur disparition et la sonnerie de fin d’alerte. Il était désormais convaincu qu’ils l’avaient déjà gracié une première fois, même s’il en ignorait les circonstances et les raisons. Il se remémorait une ronde de silhouettes autour de lui, silencieuses, hostiles, imprécises, des corps blêmes allongés sur un sol noir. Il savait également que ses amours avec sa sœur d’adoption étaient déjà inscrites dans le passé, pas nécessairement dans le sien mais dans une mémoire globale, collective.
Souriante, triomphante, Mael se hissa sur la pointe des pieds et lui emprisonna la bouche avec gourmandise. Sa langue, ses mains, les frottements impétueux de sa poitrine et de son bassin balayèrent les dernières hésitations d’Orchéron. Il se laissa entraîner par le courant, tellement puissant qu’il les précipita tous les deux sur le plancher et leur arracha leurs vêtements. Ils n’étaient plus maintenant que deux vagues de désir qui s’éclaboussaient, s’entrechoquaient, s’entremêlaient avec une violence inouïe. Orchéron pouvait enfin prendre à pleines mains ces chairs tendres et rondes, goûter à pleine bouche ce fruit fendu et si attirant sous sa fourrure claire ; Mael pouvait enfin s’emparer de ce membre intimidant qu’elle n’avait jusqu’alors perçu qu’au travers des étoffes, le rouler dans ses paumes, le cajoler de ses lèvres.