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Alma sursauta, se retourna aussi vite que le lui permettait son pied douloureux et vit approcher une vieille femme vêtue d’une longue robe blanche dont l’extraordinaire fluidité l’étonna. Elle croyait connaître toutes les djemales de Chaudeterre, y compris les plus anciennes ou les plus discrètes, mais elle ignorait l’existence de cette sœur dont le visage était un curieux assemblage de grâce et de laideur, de pureté et de corruption. La finesse incomparable des traits se devinait sous les atteintes du temps, les rides, les plis, les affaissements. Le regard, d’un brun qui tirait sur l’or, pétillait de vivacité sous les rideaux las, craquelés et empesés des paupières. Les cheveux, noués en chignon, aussi blancs que la robe, se dressaient au sommet du crâne comme une cime enneigée. D’elle émanait une odeur imprécise d’herbe, de fleur et de putréfaction. Grande, osseuse, elle toisait la novice avec un soupçon d’intérêt sous le vernis d’autorité, de dédain.

Alma exécuta avec maladresse la révérence que toute sœur devait à ses aînées à l’intérieur du conventuel. La vieille femme eut un rire éraillé avant de s’appuyer sur le parapet.

« Pas facile de faire ce genre de simagrées avec un pied ébouillanté, hein ? »

Alma se mordit les lèvres. La rumeur de sa mésaventure s’était répandue plus vite qu’elle ne l’avait pensé. Elle doutait d’avoir la force de supporter les railleries quotidiennes, les chuchotements fielleux, l’ironie des regards. Elle s’était mise dans une situation impossible. Elle garda les yeux rivés sur son ombre qu’étirait la lumière de Jael sur les dalles de pierre.

« Pas facile non plus d’être la risée de tout un conventuel ! »

Un reste de fierté dissuada Alma de s’effondrer en sanglots aux pieds de son interlocutrice dont la voix croassante s’enfonçait dans sa poitrine comme une lame ébréchée.

« La belladore, Qval Anzell, s’est empressée de colporter ton histoire. Elle prétend qu’elle se sert de ton exemple pour ramener les rêveuses aux réalités de ce monde, je crois plutôt qu’elle exerce un penchant naturel pour les ragots, pour la médisance. »

Alma releva la tête et lança un regard perplexe à la vieille femme.

« Que me voulez-vous au juste ? »

Elle avait craché ces quelques mots avec véhémence, avec hargne, bien loin de la déférence que les novices témoignaient en principe aux djemales plus anciennes. Les gloussements des grands nanziers, les éclats de voix et les rires des sœurs affairées dans la cour intérieure se mêlaient à la rumeur sourde des sources chaudes et aux sifflements des geysers.

La vieille femme se redressa avec un large sourire qui dévoila une dentition parfaite et donna à ses traits une douceur inattendue.

« Je te préfère nettement comme ça, réactive, colérique, orgueilleuse. Tu n’es pas faite pour la soumission, pour la révérence, pour la réclusion, tu n’es pas faite pour être djemale !

— Comment pouvez-vous affirmer ce genre de chose ? répliqua Alma d’une voix gonflée d’indignation. Et d’abord qui êtes-vous ? Je ne me souviens pas vous avoir vue dans le conventuel.

— Nous nous sommes croisées à trois ou quatre reprises. Je ne te reproche pas de ne pas m’avoir remarquée : notre chère Qval Frana m’a recommandé la plus grande discrétion.

— Pourquoi ?

— On me surnomme Gaella la folle… »

Alma hocha la tête. Elle avait entendu parler de Gaella la folle, une très vieille djemale, peut-être plus vieille que Qval Frana, une sœur frappée de démence qui hantait les couloirs sombres du conventuel comme un amaya grinçant de l’espace. Elle n’avait jamais douté de son existence, mais elle n’avait pas non plus envisagé de se retrouver un jour en sa présence. Elle comprit en tout cas que les affirmations de la vieille femme n’étaient que des divagations issues d’un cerveau détraqué et, rassérénée, se détendit.

« Et vous l’êtes ? Folle ? »

Gaella renversa la tête en arrière et éclata d’un rire hystérique qui, aux oreilles d’Alma, sonna comme le plus probant des aveux.

« Cette question n’a aucun sens ! C’est aux autres, à celles qui me disent folle, qu’il faudrait la poser. La folie n’est qu’une question de point de vue, de regard.

— Pourquoi vous considèrent-elles comme folle ? »

Gaella contempla un moment les collines noires puis dévisagea la novice avec une intensité qui contraignit cette dernière à baisser les paupières.

« Parce que, comme le grand Ab, comme Djema, j’ai vu le Qval. »

La vieille femme se tut, les yeux toujours fixés sur Alma, comme pour évaluer l’impact de ses paroles sur son interlocutrice.

« Vous l’avez vu ou… vous vous imaginez l’avoir vu ? bredouilla Alma, troublée par l’insoutenable pression de ce regard.

— Je l’ai approché, physiquement s’entend, mais j’ai perdu confiance et je me suis rétractée au moment d’opérer la fusion.

— Et où cette… rencontre se serait-elle déroulée ?

— Dans un endroit que tu connais bien désormais. »

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