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Alma gravissait avec une lenteur exaspérante l’escalier tournant qui menait à la succession de toits en terrasse du conventuel de Chaudeterre. Cela faisait trois jours que la belladore assistante de Qval Anzell lui avait permis de sortir de sa cellule, mais elle ne lui avait sûrement pas donné l’autorisation de se lancer dans une montée aussi longue, aussi exténuante. Et d’ailleurs Alma commençait à regretter de s’être aventurée sur ces marches étroites et raides, mais elle avait parcouru trop de chemin désormais pour songer à revenir en arrière.

Comme le lui avait annoncé Qval Frana au sortir de son inconscience, son pied gauche supportait difficilement le contact avec le cuir d’une chaussure ou même avec la laine fine d’une chaussette, gonflait très rapidement dès qu’elle le sollicitait, était traversé de pointes douloureuses, insupportables, au niveau de la voûte plantaire, du tendon d’Achille et du talon. Le pied droit, lui, ne l’élançait pratiquement plus, ni les brûlures semées par les gouttes bouillantes sur ses jambes, son torse et son visage.

Elle boitait bas lorsqu’elle atteignit enfin le premier toit en terrasse, celui de l’entrepôt des vivres, surnommé le « ventre », en vertu de sa fonction, certes, mais aussi en raison de ses formes arrondies. Là, éblouie par la lumière de Jael, elle s’approcha du parapet de pierre et laissa errer son regard sur les collines qui semblaient veiller sur le conventuel comme des ombres protectrices. De la roche nue, noire, torturée, montaient des fumerolles ocre qui trahissaient la présence de nombreuses sources d’eau chaude et qui, de temps à autre, se transformaient en geysers plus ou moins importants selon les endroits, selon les moments. Au loin, entre les crêtes affaissées, se déployait la plaine jaune d’où jaillissaient les tempêtes de pollen au début de la saison sèche. Le ciel se tendait d’un mauve foncé profond qui annonçait le retour des premières averses de cristaux de glace.

Revoir ce paysage maintes fois observé, maintes fois haï, l’étrangla d’émotion. Elle eut à nouveau envie de pleurer, comme cela lui arrivait fréquemment depuis qu’elle avait repris connaissance dans sa cellule. Elle ne se lamentait pas sur son échec dans la grotte de Djema, sur ses illusions perdues, du moins elle n’en avait pas l’impression, elle pleurait sans raison apparente, comme s’il lui fallait évacuer par les larmes des douleurs profondes anciennes. Peut-être parce que les digues dressées par son orgueil s’étaient effondrées et que les chagrins accumulés depuis sa naissance avaient trouvé des brèches par où se déverser.

Quand ses larmes eurent fini de couler, elle traversa, toujours en boitant, le toit du « ventre » et gravit l’escalier droit qui donnait sur celui du bâtiment principal abritant les cellules, les réfectoires, les ateliers d’enseignement et les salles de porte-du-présent. Une construction de pierres noires comme les autres, mais plus imposante que les autres avec ses hauts murs criblés de fenêtres, son entrée monumentale en forme d’ogive, ses renforts de maçonnerie qui s’élevaient à chacun de ses coins comme des tours tronquées.

De la partie orientale du toit, on avait une vue d’ensemble de Chaudeterre, non seulement des bâtisses mais aussi du potager, du verger, de la retenue d’eau potable et de l’enclos des nanziers. Alma distinguait, entre les arbres au feuillage jaune, roux ou vert, les silhouettes des djemales qui vaquaient à leurs occupations. Les unes remplissaient les grands paniers de fruits, d’autres vérifiaient les canalisations, d’autres encore déterraient des qvelches, de grosses légumineuses au goût fade qu’elles entassaient sur une charrette à bras. Toutes étaient vêtues de tuniques courtes, amples, sans manches, conçues de manière à leur garantir une totale liberté de mouvement. Si la plupart d’entre elles ne portaient rien en dessous, quelques-unes avaient gardé le pan d’étoffe drapé qui leur servait de sous-vêtement et leur donnait l’allure grotesque de nourrissons en couches.

Alma n’avait jamais été affectée à ce genre de corvée. Elle ne s’en était pas étonnée jusqu’à présent, comme s’il allait de soi qu’elle devait consacrer chaque instant de son existence à la recherche de la porte-du-présent. Elle se demanda soudain d’où lui venait cette inexplicable faveur. Elle n’était pas de constitution très robuste, mais elle ne présentait pas de handicap majeur, rédhibitoire, du moins jusqu’à ce jour maudit où elle s’était mise en tête d’entrer dans l’eau bouillante de la grotte de Djema.

Elle décelait de la moquerie dans les yeux des djemales qu’elle croisait, probablement mises dans la confidence par Qval Anzell ou son assistante. Elle serait désormais, et pour longtemps, la novice aux pieds brûlés, l’incarnation de la naïveté, de la prétention et de la bêtise.

« Belle journée, hein ? »

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