Après de longue pérégrination, l'apôtre des gentils s'était attardé à Tortosa où il avait réussi à rassembler un grand nombre de collaborateurs dévoués à Jésus. Ses activités apostoliques continuaient actives, bien qu'atténuées vu sa fatigue physique. Le mouvement des épîtres avait diminué mais n'était pas complètement interrompu. Pour répondre aux besoins des églises de l'Orient, Timothée avait quitté l'Espagne pour l'Asie, chargé de lettres et de recommandations amicales. Autour de l'apôtre s'était regroupé un nouveau contingent de coopérateurs diligents et sincères. Dans tous les coins où il passait, Paul de Tarse enseignait le travail et la résignation, la paix de la conscience et le culte du bien.
Alors qu'il prévoyait de nouveaux voyages en compagnie de Luc voilà qu'est apparu à Tortosa le messager de Simon.
L'ex-rabbin lut la lettre et décida immédiatement de retourner à la ville impériale. À travers les lignes affectueuses de l'ancien, il entrevit la gravité des événements en cours. De plus, Jean devait retourner en Asie. Il n'ignorait pas l'influence bénéfique qu'il exerçait à Jérusalem. À Éphèse, où l'église se composait d'éléments judaïques et gentils, le fils de Zébédée avait toujours été une figure noble et exemplaire, exempt d'un esprit sectaire. Paul de Tarse passa en revue les besoins du service évangélique dans les communautés orientales et en conclut que le retour de Jean était urgent, aussi décida-t-il d'intervenir sans perdre de temps.
Comme d'habitude, les considérations de ses amis concernant les problèmes liés à sa santé ne purent rien y faire. L'homme énergique et déterminé, malgré ses cheveux blancs, gardait le même esprit résolu, élevé et ferme qui l'avait toujours caractérisé dans sa jeunesse lointaine.
Avantagé par le grand nombre de bateaux, en ce début de mois de mai de l'an 64, il n'eut pas de mal à retourner au port d'Ostie auprès de ses compagnons.
Simon Pierre le reçut ému. En quelques heures, le converti de Damas connaissait la situation intolérable générée à Rome par l'action délictueuse de Tigellia. Jean était toujours incarcéré malgré les requêtes remises aux tribunaux. Lors de confidences éloquentes, l'ancien pêcheur de Capharnaûm révéla à son compagnon que le cœur lui réservait de nouvelles douleurs et des témoignages cruels. Un rêve prophétique lui avait annoncé des persécutions et de rudes épreuves. Lors de l'une de ces dernières nuits, il avait vu un singulier tableau où une croix aux proportions gigantesques semblait jeter son ombre sur toute la famille des disciples du Seigneur. Paul de Tarse l'écouta avec intérêt et se dit entièrement d'accord avec ses pressentiments. Malgré les sombres horizons, ils décidèrent de mener une action commune pour faire libérer le fils de Zébédée.
Le mois de juin s'écoulait.
L'ex-rabbin redoubla d'activités intenses, il alla voir Acacius Domicius pour lui demander son intervention et faire appel à son influence. De plus se disant que ces mesures lentes pourraient résulter en échecs, assisté par des amis éminents, il chercha à rencontrer de nombreux courtisans de la cour impériale pour arriver à voir Popéia Sabine et supplier ses bons offices concernant le fils de Zébédée. Très surprise, la célèbre favorite écouta ses confidences, ces révélations d'une vie éternelle, cette conception de la divinité, tout cela l'effrayait. Bien qu'étant l'ennemie déclarée des chrétiens, vu la sympathie qu'elle affichait pour le judaïsme, Popéia fut impressionnée par le personnage ascétique de l'apôtre et par les arguments qui renforçaient sa requête. Sans cacher son étonnement, elle promit de s'occuper de son cas en prenant des dispositions immédiates.
Paul se retira, plein d'espoir quant à l'absolution de son compagnon car Sabine lui avait promis de le faire libérer dans les trois jours à venir.
De retour à la communauté, il informa ses frères de foi de l'entrevue qu'il avait eue avec la favorite de Néron. Mais une fois son exposition terminée, il remarqua, quelque peu surpris, que quelques compagnons désapprouvaient son initiative. Il leur a alors demandé de s'expliquer et de justifier leurs doutes. Des considérations sans fondement surgirent qu'il accueillit avec son inépuisable sérénité. Ils alléguaient qu'il n'était pas louable de s'adresser à une courtisane débauchée pour solliciter une faveur. De tel procédé ressemblaient à ceux d'Éphèse envers les partisans du Christ. Popéia était une femme de vie particulièrement dépravée, elle participait aux orgies du Palatin et se caractérisait par sa scandaleuse luxure. Était-il raisonnable de lui demander sa protection pour les disciples de Jésus ?
Paul de Tarse accepta ces tristes arguments avec une patience béatifiante et objecta sagement :