Nourrissant de telles intentions, il organisa l'attentat avec ses courtisans les plus proches qui avaient toute sa confiance. Il s'absenta de la ville pour ne pas éveiller les soupçons des hommes politiques les plus honnêtes.
Mais il n'avait pas prévu l'extension de l'étonnante calamité. L'incendie avait pris de trop grandes proportions. Ses conseillers les moins dignes n'avaient pu pressentir de l'ampleur du désastre. Arraché en hâte à ses plaisirs criminels, l'empereur est arrivé le dernier jour de feu et put constater le caractère odieux de la mesure prise. Posté sur l'un des points les plus élevés de la ville, à contempler les ruines, il ressentit toute la gravité de la situation. La destruction de la propriété privée avait atteint des proportions presque infinies. Il n'avait pas prévu d'aussi funestes conséquences. Reconnaissant la juste irritation du peuple, Néron parla en public et avec sa profonde capacité de dissimulation il laissa même couler quelques larmes. Il promit d'aider à reconstruire les maisons particulières, déclara qu'il partageait la souffrance générale et que Rome se relèverait bientôt des décombres en fumée, plus imposante et plus belle. L'immense foule écoutait ses paroles, attentive à ses moindres gestes. Dans une posture théâtrale, l'empereur prenait des attitudes émouvantes. Éclatant en sanglots, il se rapportait aux sanctuaires perdus. Il invoquait la protection des dieux à chaque phrase produisant un plus grand effet. La foule fut émue. Jamais César ne s'était montré aussi paternellement affecté. Il n'était pas raisonnable de douter de ses promesses et de ses commentaires. À un moment donné, sa parole a vibré plus pathétique et plus expressive encore. Il prenait l'engagement solennel avec son peuple de punir inexorablement les responsables. Il poursuivrait les incendiaires, vengerait la catastrophe romaine sans pitié. Il priait tous les habitants de la ville de coopérer avec lui en cherchant et en dénonçant les coupables.
Pendant ce temps, quand le verbe impérial devint plus significatif, on put remarquer que la masse populaire s'agitait étrangement. Une majorité écrasante entonnait, maintenant, de terribles cris :
- Les chrétiens aux fauves ! Aux fauves !
Le fils d'Agrippine trouva alors la solution qu'il lui fallait. Lui qui cherchait, en vain, dans son esprit surexcité de nouvelles victimes à ses exécrables machinations à qui il pourrait attribuer la faute de ses lamentables succès, entrevit dans le cri menaçant de la foule une réponse à ses sinistres cogitations. Néron savait la haine que le peuple vouait aux humbles partisans du Nazaréen. Les disciples de l'Évangile restaient étrangers et supérieurs aux coutumes débauchées et brutales de l'époque. Ils ne fréquentaient pas les cirques, se détournaient des temples païens, ils ne se prosternaient pas devant les idoles, ni n'applaudissaient les traditions politiques de l'Empire. En outre, ils prêchaient des enseignements étranges et semblaient attendre un nouveau royaume. Le grand bouffon du Palatin ressentit une vague de joie envahir ses yeux myopes et congestionnés. Le choix du peuple romain ne pouvait être meilleur. Les chrétiens devaient être effectivement les criminels. Sur eux devait tomber le glaive de la vengeance.
Il échangea un regard complice avec Tigellia, comme pour exprimer qu'ils avaient trouvé par hasard la solution imprévue et affirma immédiatement à la foule exaspérée qu'il prendrait des mesures sur le champ pour réprimer les abus et punir les coupables de la catastrophe, car l'incendie serait considéré comme un crime de lèse-majesté et un sacrilège pour que les punitions aussi soient exceptionnelles.
Le peuple applaudit frénétiquement se réjouissant déjà des sensations fortes du cirque, aux rugissements des fauves et aux chants des martyrs.
L'infâme accusation pesa toute entière sur les disciples de Jésus comme un abominable fardeau.
Tel un véritable fléau maudit, les premiers emprisonnements eurent lieu. De nombreuses familles se réfugièrent dans les cimetières et dans les banlieues de la ville à moitié détruites, craignant les bourreaux implacables. Des abus de toutes sortes étaient pratiqués. Des jeunes sans défense étaient jetés en prison, soumis à l'instinct féroce des soldats sans pitié. Des vieillards respectables étaient conduits au cachot, ligotés et sous les coups. Des enfants étaient arrachés aux bras maternels entre des larmes et des appels émouvants. Une sinistre tempête s'est alors abattue sur les partisans du Crucifié qui se soumettaient à ces injustes punitions, les yeux levés au ciel.
Néron ne voulut rien entendre pas même les pondérations des illustres patriciens qui cultivaient encore les traditions de prudence et d'honnêteté. Tous ceux qui s'approchaient de l'autorité impériale avec la précieuse intention de faire de justes suggestions, étaient déclarés suspects, aggravant ainsi la situation.