Se soutenant à Luc, Paul de Tarse affrontait le froid de la nuit, les ombres épaisses, les durs chemins. Tandis que Simon Pierre s'occupait d'autres secteurs, l'ex-rabbin se dirigeait vers les anciennes tombes, apportant aux frères angoissés l'inspiration du Maître Divin qui bouillonnait dans son âme ardente. Très souvent les prédications avaient lieu tard dans la nuit, quand le silence souverain dominait la nature. Des centaines de disciples écoutaient la parole lumineuse du vieil apôtre des gentils, ressentant la puissante force de sa foi. Dans ces enceintes sacrées, le converti de Damas s'associait aux cantiques qui se mélangeaient aux douloureux sanglots. L'esprit sanctifié de Jésus, en ces moments là, semblait planer sur le front de ces martyrs anonymes, leur infusant des espoirs divins.
Deux mois s'étaient écoulés depuis l'horrible fête et le courant des emprisonnements augmentait quotidiennement. On s'attendait à de grandes commémorations. Quelques édifices nobles du Palatin, reconstruits dans des lignes sobres et élégantes, réclamaient des hommages de la part des pouvoirs publics. Les œuvres de réédification du Grand Cirque étaient très avancées. Il était impératif de programmer des fêtes dûment justifiées. Pour cela, les prisons étaient pleines. Les figurants ne manqueraient pas pour les scènes tragiques. On projetait des naumachies pittoresques, ainsi que des chasses à l'homme dans le cirque où seraient aussi représentées dans l'arène des pièces célèbres d'inspiration mythologique.
Les chrétiens priaient, souffraient, attendaient.
Une nuit, Paul adressa à ses frères sa parole aimante à travers les commentaires de l'Évangile de Jésus. Plus que jamais, ses pensées semblaient divinement inspirées. Les brises de l'aube pénétraient la caverne mortuaire qui s'illuminait de quelques torches oscillantes. L'enceinte était pleine de femmes et d'enfants aux côtés de nombreux hommes camouflés.
Après la prédication émouvante, entendue de tous, les yeux remplis de larmes, l'ex- tisserand de Tarse s'exprima avec ardeur :
- Oui, frères, Dieu est plus beau en ces jours tragiques. Quand les ombres menacent le chemin, la lumière est plus précieuse et plus pure. En ces jours de souffrance et de mort, quand le mensonge détrône la vérité et la vertu remplacées par le crime, rappelons-nous de Jésus sur la poutre infamante. La croix détient pour nous autres un divin message. Ne dédaignons pas le témoignage sacré, quand le Maître, bien qu'immaculé, n'a trouvé en ce monde que des batailles silencieuses et des souffrances infinies. Fortifions en nous l'idée que son royaume n'est pas encore de ce monde. Elevons notre esprit à la sphère de son amour immortel. La ville des chrétiens n'est pas sur terre ; ce ne pourrait être la Jérusalem qui a crucifié l'Envoyé divin, ni la Rome qui se complaît à verser le sang des martyrs. En ce monde, nous sommes face à un combat sans effusion de sang, à œuvrer pour le triomphe éternel de la paix du Seigneur. Ne nous attendons pas à nous reposer, mais plutôt à travailler et à porter notre témoignage vivant. De la ville indestructible de notre foi, Jésus nous contemple et parfume nos cœurs. Marchons à sa rencontre, à travers les supplices et les déchirantes perplexités. Il est monté au Père de la cime du Calvaire ; nous suivrons ses pas en acceptant avec humilité les souffrances qui, pour son amour, nous sont réservées...
L'auditoire semblait extatique en entendant les paroles prophétiques de l'apôtre. Entre les tombes froides et impassibles, les frères dans la foi se sentaient plus unis entre eux. Dans tous les regards scintillait la certitude de la victoire spirituelle. Dans ces expressions de douleur et d'espoir, il y avait le tacite engagement de suivre le Crucifié jusqu'à son Royaume de Lumière.
L'orateur fit une pause, se sentant dominé par d'étranges commotions.
En cet instant inoubliable, brusquement un groupe de gardes a surgi dans l'enceinte. À la tête d'une patrouille armée, le centurion Volumnius faisait des intimations à voix haute, alors que les croyants pacifiques s'affolaient surpris.
Au nom de César ! - s'écria le préposé impérial exultant de satisfaction. Il ordonna à ses soldats d'encercler les chrétiens désarmés et ne cessait de crier de manière spectaculaire. - Que personne ne fuie ! Celui qui essaiera, mourra comme un chien !
Se soutenant à sa forte houlette car cette nuit-là il n'était pas accompagné de Luc, Paul qui se tenait droit, démontrant son énergie morale, s'exclama fermement :
Et qui vous dit que nous fuirons ? Vous ignorez, semble-t-il, que les chrétiens connaissent le Maître qu'ils servent ? Vous êtes l'émissaire d'un prince du monde que ces tombes attendent, mais nous sommes des travailleurs du Sauveur magnanime et immortel !...