Confiant en votre générosité, j'ai requis cette heure inoubliable afin de faire appel à votre cœur, non seulement pour moi, mais pour des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui souffrent dans les prisons ou succombent dans les cirques du martyre. Je vous parle, ici, au nom de cette foule innombrable de souffrants persécutés par excès de cruauté des favoris de votre cour qui devrait être constituée d'hommes intègres et humains. Se peut-il que les lamentations angoissantes des veuves, des vieillards et des orphelins se soient pas arrivées jusqu'à vous ? Oh ! Auguste régnant sur le trône de Claude, sachez qu'une vague de perversité et de crimes odieux balaie les quartiers de la ville impériale, arrachant des pleurs déchirants à vos misérables sujets ! Aux côtés de votre activité gouvernementale, rampent certainement des vipères vénéneuses qu'il est nécessaire d'extirper pour le bien de la tranquillité et du travail honnête de votre peuple. Ces collaborateurs pervers dévient vos efforts du droit chemin, répandent la terreur entre les classes désertées par la chance, menacent les plus malheureux ! Ce sont eux les accusateurs des prosélytes d'une doctrine d'amour et de rédemption. Ne croyiez pas les mensonges de leurs conseils qui transpirent de cruauté. Personne n'a peut-être autant travaillé que les chrétiens, au secours des victimes de l'incendie dévorateur. Tandis que les patriciens illustres fuyaient Rome désolée, et que les plus timides se rassemblaient dans les lieux les plus abrités du danger, les disciples de Jésus parcouraient les quartiers enflammés, soulageant les malheureuses victimes. Quelques-uns ont même immolé leur vie à l'altruisme dignifiant. Et finalement ce sont les sincères travailleurs du Christ qui paient la faute des auteurs du crime abominable, des calomniateurs sans vergogne. Se peut-il que votre conscience ne souffre pas d'endosser des allégations aussi diffamantes à défaut d'une enquête impartiale et rigoureuse ? Dans l'effervescence des calomnies, pas une voix pour vous éclairer ne s'est levée. J'admets que vous participiez certainement à de si tragiques illusions car je ne crois pas que votre autorité réservée aux meilleures résolutions pour l'Empire soit affaiblie. Voilà pourquoi - Oh, empereur des Romains ! -, reconnaissant le pouvoir grandiose détenu entre vos mains, j'ose lever ma voix pour vous éclairer. Considérez l'extension glorieuse de vos devoirs. Ne vous livrez pas à la haine des hommes politiques inconscients et cruels.
Souvenez-vous que dans une vie plus élevée que celle-ci, vous devrez rendre des comptes de votre conduite dans vos actes publics. Ne nourrissez pas l'illusion que votre sceptre est éternel. Vous êtes mandataire d'un Seigneur puissant qui réside dans les cieux. Pour vous convaincre de la singularité d'une telle situation, tournez votre regard à peine sur le passé brumeux. Où sont vos prédécesseurs ? Dans vos palais fastueux ont déambulé des guerriers triomphants, des rois improvisés, des héritiers vaniteux de vos traditions. Où sont-ils donc ? L'histoire nous raconte qu'ils sont arrivés au trône sous les applaudissements délirants des foules. Ils venaient magnifiques, exhibant des richesses dans leurs chars triomphants, décrétant la mort des ennemis, s'ornant des restes sanglants de leurs victimes. Néanmoins, il a suffi d'un souffle pour qu'ils tombent des splendeurs du trône dans l'obscurité de la tombe. Certains sont partis suite aux conséquences fatales de leurs propres excès destructeur ; d'autres assassinés par les enfants de la révolte et du désespoir. En se rappelant de telle situation, je ne désire pas transformer le culte de votre vie en culte de mort, mais démontrer que la fortune suprême de l'homme est la paix de la conscience pour le devoir accompli. Pour toutes ces raisons, je fais appel à votre magnanimité, non seulement pour moi comme pour tous les coreligionnaires qui gémissent à l'ombre des prisons, attendant le glaive de la mort.
Marquant une longue pause dans son discours éloquent, on pouvait remarquer l'étrange sensation que ses propos avaient causée. Néron était livide. Profondément irrité, Tigellia cherchait un moyen d'insinuer quelques commentaires moins dignes concernant le pétitionnaire. Les quelques courtisans présents ne cachaient pas une indicible commotion qui ébranlait leur système nerveux. Les amis du préfet des prétoriens se montraient indignés, rouges de colère. Après avoir entendu un courtisan, l'empereur fit ordonner que l'appelant garde le silence jusqu'à ce qu'il prenne les premières décisions.
Ils étaient tous abasourdis. Ils ne pouvaient soupçonner chez un vieux, fragile et malade, un si grand pouvoir de persuasion, une intrépidité qui frisait la folie, selon les notions du patriciat. Pour bien moins, des vieux et des honnêtes conseillers de la cour avaient souffert de l'exil ou de la peine de mort.