Appelé à se prononcer sur la question, l'ami de l'apôtre a immédiatement comparu, puis voulut s'entretenir avec le prisonnier après une longue entrevue avec le directeur de la prison.
Domicius expliqua au bienfaiteur que la situation était très grave ; que le préfet des prétoriens était investi de tous les pouvoirs pour diriger la campagne comme bon lui semblait ; qu'une grande prudence s'imposait et qu'en dernier recours, il ne resterait plus qu'à faire appel à la magnanimité de l'empereur, devant lequel l'apôtre aurait à comparaître pour se défendre personnellement au cas où la pétition présentée à César, ce jour même, serait accordée.
Entendant ces pondérations, l'ex-rabbin s'est rappelé qu'une nuit, au beau milieu d'une tempête entre la Grèce et l'île de Malte, il avait entendu la voix prophétique d'un messager de Jésus qui lui avait annoncé sa comparution devant César sans éclaircir les circonstances de cet événement. Ne serait-ce pas là le moment prévu ? Des milliers de frères étaient arrêtés ou dans une situation d'extrême désolation. Accusés d'incendiaires, il ne s'était pas trouvé une voix ferme et résolue pour défendre leur cause avec l'intrépidité requise. Il percevait chez Acacius son inquiétude quant à sa libération, mais derrière les
insinuations délicates, il y avait une invitation discrète pour qu'il cache sa foi à l'empereur, dans l'hypothèse où il serait admis à une réelle entrevue. Il comprenait les craintes de son ami, mais intimement, il désirait obtenir cette audience avec Néron afin de lui parler des sublimes principes du christianisme. Il se ferait l'avocat des frères persécutés et malheureux. Il affronterait de face la tyrannie triomphante, ferait appel à la rectification de son acte injuste. S'il était à nouveau emprisonné, il retournerait à sa cellule la conscience édifiée dans l'accomplissement d'un devoir sacré.
Après une rapide réflexion sur l'utilité du recours qui lui semblait providentiel, il insista auprès de Domicius pour qu'il le soutienne en faisant jouer toute son influence.
L'ami de l'apôtre mit tout en œuvre pour arriver à ces fins. Il profita du prestige de tous ceux qui vivaient en tant que subalternes auprès de l'empereur, et réussit à obtenir l'audience désirée pour que Paul de Tarse se défende, comme convenu, en faisant directement appel à l'autorité d'Auguste.
Le jour dit, il fut conduit entre des gardes en présence de Néron qui le reçut curieux dans un vaste salon où il avait l'habitude de réunir les favoris oisifs de sa cour criminelle et excentrique. La personnalité de l'ex-rabbin l'intéressait. Il voulait connaître l'homme qui avait réussi à mobiliser un grand nombre de ses proches pour soutenir sa demande. La présence de l'apôtre des gentils lui causa une énorme déception. Quelle valeur pouvait avoir ce vieillard insignifiant et fragile ? Aux côtés de Tigellia et de quelques autres conseillers pervers, il fixa ironiquement la figure de Paul. Un tel intérêt pour une créature aussi vulgaire était incroyable. Alors qu'il se préparait à le renvoyer en prison sans l'avoir entendu, l'un des courtisans a rappelé qu'il conviendrait de lui laisser la parole, pour conférer son indigence mentale. Néron, qui ne perdait jamais une occasion d'exhiber sa vanité d'âme, considéra que la suggestion était justifiée et ordonna au prisonnier de parler à volonté.
Aux côtés de deux gardes, le prédicateur inspiré de l'Évangile a levé son front plein de noblesse, a regardé César et les compagnons de son cortège frivole et se mit à parler de façon résolue :
Empereur des Romains, je comprends la grandeur de cette heure à laquelle je vous parle, faisant appel à vos sentiments de générosité et de justice. Je ne m'adresse pas ici à l'homme faillible, à une personnalité humaine tout simplement, mais à l'administrateur qui doit être consciencieux et juste, au plus grand des princes du monde et qui, avant de prendre le sceptre et la couronne d'un immense Empire, doit se considérer le père magnanime de millions de créatures !...
Les paroles du vieil apôtre résonnaient dans l'enceinte comme une profonde révélation. L'empereur le fixait, surpris et attendri. Son tempérament capricieux était sensible aux références personnelles où prédominaient de brillantes images. Percevant qu'il s'imposait à l'auditoire restreint, le converti de Damas se fit plus courageux :