— Question d’habitude, je pense. Tout au long de ma vie, j’ai été soumis au protocole. Peut-être est-il préférable que vous continuiez à porter ce grade, au demeurant. Dites-moi, que pensez-vous de notre plan quinquennal ?
Je le trouvais nul, mais j’ai répondu :
— Il me semble qu’il a été soigneusement élaboré.
— Nous y avons beaucoup réfléchi. Colonel, vous me paraissez un homme intelligent… Je sais que vous l’êtes, je connais non seulement tout votre passé mais presque votre moindre mot, la moindre de vos pensées, depuis le premier instant où vous avez mis le pied sur la Terre. Vous êtes né sur la Lune. Vous considérez-vous patriote ? à l’égard de la Lune ?
— Je pense que oui. Mais je crois que nous avons surtout agi par nécessité.
— Entre nous… vous avez eu raison. Quel vieil idiot, ce Hobart ! Colonel, ceci
— Un vaisseau, six bombes.
— Exact ! Mon Dieu, quel plaisir de parler avec un homme intelligent ! Deux de ces bombes devraient être particulièrement puissantes, il faudrait peut-être les construire spécialement ; il y aurait quelques survivants provisoires dans les termitières les plus éloignées des zones de bombardement. Mais un seul vaisseau suffirait, il ne lui faudrait que dix minutes.
— Je vous l’accorde, monsieur. Mais le professeur de La Paz vous a fait remarquer qu’il était inutile de battre sa vache pour en tirer du lait. El plus encore de l’abattre.
— Pourquoi croyez-vous que nous avons attendu plus d’un mois sans rien faire ? Mon collègue, celui qui est complètement idiot – je préfère ne pas le nommer – a parlé de « contre-propositions ». Je n’aime pas les contre-propositions – du bavardage, ni plus ni moins. La seule chose qui m’intéresse, c’est le résultat. Non, mon cher colonel, nous n’allons pas abattre la vache à lait ; mais s’il le faut, nous pouvons l’avertir qu’elle risque l’abattoir. Les fusées à ogive nucléaire sont des jouets coûteux, mais nous pouvons nous permettre d’en sacrifier quelques-unes sur des rochers comme coups de semonce, juste pour montrer à la vache ce qui peut se passer. Nous ne tenons pourtant pas à faire montre de plus de force que nécessaire : nous risquerions d’effrayer notre vache et de faire tourner son lait. (Il a de nouveau fait entendre son rire en cascade.) Il vaut mieux la persuader de se laisser traire de son plein gré.
J’ai attendu.
— Ne voulez-vous pas savoir comment ? m’a-t-il demandé.
— Comment ?
— Par votre intermédiaire. Non, ne répondez pas, laissez-moi d’abord vous expliquer…
Il m’a alors élevé au sommet d’une haute montagne et offert tous les royaumes de la Terre. Ou de Luna. Il me suffisait d’accepter le poste de « Protecteur intérimaire », étant bien entendu qu’il me reviendrait définitivement si je m’en montrais digne. Je n’avais qu’à convaincre les Lunatiques qu’ils ne pouvaient pas gagner, que cette nouvelle organisation leur était profitable, insister sur les progrès, l’école et les hôpitaux gratuits, et ceci gratuit, et cela gratuit… Les détails seraient donnés plus tard mais, dans l’immédiat, ils auraient un gouvernement en tous points semblable à celui de la Terre. Les impôts, très bas, seraient prélevés automatiquement sur les bénéfices que procureraient les expéditions de grain. Enfin, et c’était sans doute le point le plus important, cette fois l’Autorité n’enverrait pas des enfants de chœur pour faire un travail d’homme, elle engageait immédiatement deux régiments de forces de police.