Sur onze milliards de Terriens, peut-être sept habitaient des pays où la polygamie était légale, ce qui a permis aux fabricants d’opinion circonvenus par Stu de jouer la carte de la persécution ; cela nous a même gagné la sympathie de gens qui n’auraient autrement jamais entendu parler de nous ; nous avons ainsi obtenu des partisans jusqu’en Amérique du Nord et en d’autres lieux qui interdisaient la polygamie, parmi ces gens qui ont pour devise « Vivre et laisser vivre ». Cela nous a donc finalement été bénéfique, notre seul souhait étant de nous faire remarquer ; pour la plupart de ces milliards d’abeilles terrestres, Luna ne représentait rien, notre rébellion était passée inaperçue.
Les agents de Stu avaient travaillé dur pour obtenir mon arrestation ; naturellement, je n’ai su qu’il s’agissait d’un coup monté que plusieurs semaines après, car ils voulaient d’abord que je me calme pour être à même d’apprécier les bénéfices de l’opération. Il avait fallu trouver un juge idiot, un shérif malhonnête et aussi un crétin de bouseux plein d’idées préconçues pour que je puisse tout déclencher avec cette aimable photographie ; Stu m’a dit plus tard que la variété de couleurs des membres de la famille Davis avait beaucoup joué dans la colère du juge, augmentant sa bêtise congénitale.
Mon seul motif de consolation – le fait que Mamie n’ait pu être témoin de ma disgrâce – s’est révélé erroné ; des photographies prises à travers les barreaux, et donc loin de me flatter, ont paru dans tous les journaux de Luna, accompagnées d’articles remplis des pires inventions journalistiques terriennes ; seul un petit nombre déplorait cette injustice. J’aurais cependant dû faire davantage confiance à Mimi ; elle n’avait pas eu honte, juste l’envie de se rendre sur Terre afin de leur tordre le cou.
Cette histoire nous a bien aidés sur Terre, et davantage encore sur Luna : ses habitants se sont sentis plus unis que jamais à cause de cette histoire idiote. Ils ont pris l’affaire à cœur et « Adam Selene », tout autant que « Simon Jester », ont poussé à la roue. Les Lunatiques sont des gens fort conciliants, sauf sur un point : les femmes. Chaque dame s’est déclarée personnellement blessée par les commentaires des journaux terriens et les Lunatiques mâles, qui avaient jusqu’alors refusé de s’intéresser à la politique, ont tout à coup fait de moi leur champion.
Bilan : les vieux détenus se sentaient supérieurs aux hommes nés libres. Plus tard, j’ai souvent été accueilli par d’anciens condamnés qui me saluaient par des « Hello ! gibier de potence ! » Un vrai témoignage d’amitié. J’étais accepté.
Sur le moment, en revanche, je n’y voyais rien de très positif ! On m’a poussé de-ci, de-là, traité comme du vulgaire bétail, on m’a pris mes empreintes digitales, photographié, donné de la nourriture dont leurs cochons n’auraient pas voulu : j’ai été soumis aux traitements les plus dégradants et seule cette terrible pesanteur m’a empêché d’essayer de tuer quelqu’un… si j’avais porté mon bras numéro six quand ils m’ont arrêté, sans doute aurais-je essayé.
Je me suis quand même calmé quand on m’a libéré. Quelques heures plus tard, nous étions en route pour Agra, où le Comité nous avait enfin convoqués. Si j’étais heureux de retrouver l’appartement du palais du maharajah, le décalage horaire ne nous a pas permis de nous reposer ; nous avons dû nous rendre à la séance les yeux bouffis de sommeil après avoir pris quantité de cachets pour tenir le coup.
« L’audience » était à sens unique : nous avons écoulé pendant que le président parlait. Une heure d’affilée. Je résume ici ses propos :