Читаем Révolte sur la Lune полностью

Un vrai canon du temps de la marine à voile. Il était assez petit, d’environ 50 centimètres de long, et ne devait peser, avec l’affût en bois, qu’une quinzaine de kilos. Comme le décrivait sa notice, c’était un « canon de signalisation », chargé d’antiques histoires de pirates, de flibustiers, de « supplices de la planche ». Un joli objet, en somme, mais j’ai quand même demandé à Prof pourquoi il l’avait acheté. Si nous parvenions à repartir, le prix du transport d’une telle masse jusqu’à Luna serait exorbitant ; j’accepterais d’abandonner ma combinaison pressurisée, même si elle pouvait encore servir quelques années ; j’étais décidé à tout laisser, sauf mes deux bras gauches et mon caleçon. S’il insistait, je pourrais même abandonner mon bras de sortie et, s’il me suppliait, j’irais jusqu’à me départir de mon caleçon.

Lorsque je lui ai dit cela, il s’est levé et a caressé le canon brillant :

— Manuel, il y avait autrefois un homme chargé d’une tâche politique – comme beaucoup d’habitants de ce Directoire ; il faisait briller un canon de bronze sur l’esplanade du Tribunal.

— Pourquoi y avait-il un canon devant un tribunal ?

— Cela n’a pas d’importance. Il a fait ce travail pendant des années. Cela lui permettait de manger et même d’épargner un peu, mais pas de partir à la découverte du monde. Un jour, donc, il quitta son travail, réunit ses économies et s’acheta un canon d’airain… et se mit à travailler pour son propre compte.

— Ça me paraît complètement idiot !

— Bien sûr. Comme nous avons été idiots de nous débarrasser du Gardien. Manuel, vous vivrez plus longtemps que moi ; quand Luna choisira son drapeau, j’aimerais que figure dessus un canon d’or sur fond noir traversé d’une barre de gueule rouge pour rappeler fièrement notre ascendance bâtarde. Croyez-vous cela possible ?

— Oui, si vous faites un dessin. Mais, pourquoi un drapeau ? Il n’y a pas un seul mât où hisser un drapeau sur Luna.

— Il flottera quand même dans nos cœurs… en souvenir de tous les fous qui ont eu l’idée ridicule de se croire assez puissants pour se soulever contre l’ordre établi. Vous en souviendrez-vous, Manuel ?

— Je vous le promets, c’est-à-dire que je vous le rappellerai le moment venu.

Je n’aimais pas ce genre de conversation ; il avait déjà commencé à faire des cures d’oxygène en privé, même s’il se refusait à en faire usage en public.

Je crois bien, en effet, que je suis à la fois « ignorant » et « entêté ». Nous nous trouvions tous les deux à Lexington, dans le Kentucky, en plein cœur de la Région directionnelle centrale. Quand il s’agissait de parler de la vie sur Luna, je n’avais rien pour me venir en aide, ni doctrine ni réponses apprises par cœur. Prof m’avait conseillé de tout simplement dire la vérité et surtout d’insister sur la chaleur de la vie familiale, sur l’amitié, sur le confort domestique, tout ce qui différait vraiment d’ici : « Rappelez-vous, Manuel, les milliers de Terriens qui ont fait de courts séjours sur Luna ne représentent qu’une infime portion de la population, pas plus de 1 %. Pour la plupart de ces gens, nous ne représentons qu’un étrange phénomène, comme les animaux exotiques dans les zoos. Vous rappelez-vous cette tortue que l’on avait exposée dans le Vieux Dôme ? Nous ne sommes pas autre chose pour eux. »

Je m’en rappelais bien : ils avaient fini par épuiser cette pauvre bestiole à force de l’observer. Voilà pourquoi, quand ce groupe d’hommes et de femmes est venu me poser des questions sur la vie familiale sur Luna, je me suis montré tout heureux de répondre. J’ai seulement un peu enjolivé la réalité, taisant certains faits, comme les situations qui ne constituent pas une véritable vie de famille mais en tiennent lieu, autant que faire se peut, dans une communauté où il y a beaucoup trop de mâles. Luna City est principalement composée de foyers familiaux, ce qui semble un peu fade selon les normes terriennes – mais moi j’aime cette vie-là. Il en est de même dans les autres terriers, peuplés de gens qui travaillent, élèvent leurs gosses, bavardent et aiment à se retrouver autour d’un bon repas. N’ayant pas grand-chose à dire, j’ai surtout parlé de ce qui les intéressait. Toutes les coutumes de Luna proviennent de Terra puisque nous en sommes tous originaires, mais Terra est tellement immense qu’une coutume, disons de Micronésie, paraîtrait étrange en Amérique du Nord.

Cette femme – je ne peux vraiment l’appeler une dame – voulait donc s’informer de nos diverses formes de mariages. Pour commencer, était-il vrai que nous pouvions nous marier sans contrat ?

J’ai demandé ce qu’était un contrat de mariage.

Son compagnon a alors dit :

— Laisse tomber, Mildred ; les sociétés de pionniers n’ont jamais eu de contrats de mariage.

— Pourtant, vous devez bien en garder une trace ? a-t-elle insisté.

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