— Pas du tout. Ils auraient haussé les épaules et fait comme si de rien n’était. Parce que c’est à elle qu’appartient le choix. Pas à vous. Ni à eux. Seulement à elle. Il aurait certainement été dangereux de lui demander d’aller à l’hôtel, elle aurait pu s’offenser et cela aurait donné aux gamins le droit de vous bousculer. Mais… bon, considérez cette Tish. Ce n’est qu’une petite traînée un peu idiote ; si vous lui aviez laissé entrevoir tout l’argent que j’ai vu dans votre bourse, elle aurait parfaitement pu se mettre dans la tête qu’une passe avec un touriste représentait exactement ce dont elle avait besoin et elle vous aurait elle-même fait des avances. Auquel cas, tout se serait fort bien passé.
La Joie a haussé les épaules.
— À son âge ? Invraisemblable. Elle est trop jeune pour savoir ce qu’elle fait. Ç’aurait été un véritable viol.
— Mais non, voyons ! À son âge, les femmes sont mariées ou devraient l’être. Stu, il n’y a jamais de viol sur Luna. Jamais. Les hommes ne le supporteraient pas. S’il avait été question de viol, je vous assure qu’ils ne se seraient pas préoccupés d’aller chercher un juge et que tous les hommes du voisinage se seraient précipités pour leur porter assistance. Il n’y a pratiquement pas la moindre chance qu’une fille de cet âge soit vierge. Quand les filles sont petites, leurs mères les surveillent de très près, aidées en cela par tout le monde dans la ville ; ici, les enfants sont en toute sécurité. Mais quand elles atteignent l’âge d’avoir un mari, on ne s’occupe plus d’elles, et leurs mères les laissent tranquilles. Si elles veulent hanter les corridors et prendre du bon temps, rien ne les en empêche : une fois nubiles, les filles deviennent entièrement libres de leurs actes. Êtes-vous marié ?
— Non. (Et il a ajouté en souriant :) Plus maintenant.
— Supposons que vous le soyez et que votre femme vous dise qu’elle veut épouser quelqu’un d’autre ; que feriez-vous ?
— C’est amusant que vous présentiez les choses ainsi, car ça m’est effectivement arrivé. Je suis allé voir mon avocat pour m’assurer qu’elle n’aurait pas de pension alimentaire.
— Pension alimentaire ! Voici une chose qui n’existe pas ici : j’ai appris ce terme sur Terra. Ici, vous diriez – du moins, un mari Lunatique pourrait dire : « Je pense que nous allons avoir besoin de plus de place, chérie. » A moins qu’il ne se contente de féliciter sa femme et son nouveau co-mari. Ou que cela le rende tellement malheureux qu’il ne puisse le supporter. Il peut alors faire ses valises et partir. Pourtant, quoi qu’il choisisse, il n’y a jamais la moindre difficulté. S’il faisait des histoires, il aurait toute l’opinion publique contre lui, ses amis, hommes comme femmes, lui tourneraient le dos. Le pauvre type serait probablement obligé de partir à Novylen, où il changerait de nom et s’arrangerait tant bien que mal pour subsister.
« Toutes nos coutumes fonctionnent de cette manière. Si vous vous trouvez à l’extérieur et que vous rencontrez un type en manque d’air, vous lui en prêtez une bouteille et vous ne lui demandez rien en échange. Pourtant, s’il ne vous paye pas une fois revenu dans un endroit pressurisé, personne ne viendra vous reprocher de l’éliminer sans passer devant le juge. Mais il paiera : l’air est aussi sacré que les femmes. Quand on fait une partie de poker avec un nouveau débarqué, on lui donne de l’argent pour acheter de l’air, pas pour de la nourriture ; si on ne veut pas crever de faim, il faut travailler. Quand vous éliminez quelqu’un autrement que par légitime défense, vous devez payer ses dettes et élever ses enfants, sinon les gens arrêtent de vous fréquenter et ne vous achètent ou ne vous vendent plus rien.
— Mannie, vous insinuez qu’ici je peux tuer quelqu’un et m’en tirer simplement en payant ?
— Oh ! pas du tout ! Mais l’élimination n’est pas à proprement parler illégale, vu que nous n’avons pas de lois, juste les règlements du Gardien – qui se moque bien de ce qu’un Lunatique peut infliger à un autre. Nous considérons la chose de cette façon : si quelqu’un est tué, soit il l’a cherché et tout le monde le sait – c’est le cas le plus ordinaire – soit alors ses amis se chargent de dégommer le coupable. D’une manière comme de l’autre, il n’y a pas de problème. Les éliminations restent rares, même les duels ne sont pas fréquents.
— Ses amis s’en chargent… Mannie, supposons que ces jeunes soient allés plus loin ? Je n’ai aucun ami ici.
— C’est bien pour cela que j’ai accepté de servir de juge. Je doute que ces gamins se seraient mutuellement excités jusque-là, mais je n’ai pas voulu courir le moindre risque. L’élimination d’un touriste aurait pu faire du tort à la réputation de notre ville.
— Cela arrive-t-il souvent ?