Finalement, sur ordre de Prof, Mike est parti à l’assaut des messages ultra-secrets du Gardien. Ayant auparavant toujours effacé les messages du Gardien une fois la transmission effectuée, il a commencé par accumuler des données pour les analyser ; un travail de longue haleine car le Gardien n’envoyait de tels messages que lorsque la nécessité s’en faisait sentir, et il se passait parfois une semaine entière sans que cela se produise. Pourtant, peu à peu, Mike a commencé à définir la signification de certains groupes de lettres en assignant à chacun une probabilité. Un code ne cède pas d’un seul coup, il est même possible de connaître la signification de 99 % des groupes d’un message et de ne pas en comprendre le sens global car il subsiste un groupe qui, pour vous, veut encore dire, disons… GLOPS.
L’utilisateur peut lui aussi avoir un problème : il perdra le fil si jamais GLOPS se transforme en GLOPT. Toutes les méthodes de communication exigent des récurrences pour éviter des pertes d’informations. C’était sur ces répétitions que comptait Mike, avec la parfaite patience d’une machine.
Il a trouvé la plus grande partie du code du Gardien beaucoup plus tôt que prévu. Ce dernier, en effet, envoyait des messages de plus en plus nombreux au sujet de la même affaire (ce qui nous facilitait la tâche) : la sécurité et la subversion.
Nous avions acculé Morti la Peste : il réitérait sans arrêt ses demandes de secours.
Se rendant compte du fait que, malgré l’envoi de deux phalanges de dragons de la Paix, les activités subversives continuaient de plus belle, il demandait des renforts pour poster des gardes à tous les endroits clés de chaque termitière.
L’Autorité lui a répondu qu’il exagérait, qu’il était impossible d’envoyer d’autres troupes des Nations Fédérées car elles devaient rester disponibles pour leurs tâches terriennes. Morti devait cesser ses requêtes. S’il désirait renforcer les effectifs de sa garde, il lui suffisait de recruter parmi les déportés – les augmentations de dépenses devraient alors être supportées par Luna : il n’était plus autorisé à dépasser les crédits déjà alloués. Et on lui a ordonné de communiquer les mesures qu’il avait prises pour répondre au projet d’expéditions supplémentaires de grain.
Le Gardien a répondu qu’à moins de recevoir satisfaction pour ses demandes extrêmement modérées de renforts en personnel de sécurité qualifié – inutile, je répète, inutile d’envisager l’utilisation de condamnés non entraînés et à la fidélité douteuse –, il ne pourrait pas assurer plus longtemps le maintien de l’ordre, et encore moins une augmentation des expéditions de grain.
On lui a rétorqué avec mépris que cela n’avait aucune importance si d’ex-déportés avaient envie de se battre entre eux au fond de leurs trous. Pourquoi ne pensait-il pas à éteindre l’éclairage comme cela avait été fait, avec grand succès, en 1996 et en 2021 ?
Ces échanges nous ont forcés à modifier notre calendrier, à accélérer certaines opérations et à en ralentir d’autres. Comme un repas gastronomique, une révolution doit se préparer de telle manière que tout arrive à point nommé. Stu avait besoin de temps sur la Terre. Nous, il nous fallait des projectiles, des petites tuyères directionnelles, ainsi que des circuits intégrés pour pouvoir « lancer nos rochers ». L’acier constituait un problème car il fallait l’acheter, l’usiner et surtout le transporter à travers les méandres des tunnels jusqu’à l’aire de catapultage. Nous devions recruter davantage pour parvenir au moins à la lettre « K » – ce qui représentait environ 40 000 membres. Aux bas échelons, nous enrôlions les personnes davantage pour leur esprit combatif que pour leurs talents particuliers, comme nous l’avions fait jusqu’alors. Nous avions aussi besoin d’armes pour repousser d’éventuels débarquements. Il nous fallait encore déplacer les radars de Mike, sans lesquels il était aveugle (Mike lui-même ne pouvait être changé de place, mais il avait des prolongements partout sur Luna ; il y avait un millier de mètres de roche au-dessus de sa partie centrale dans le Complexe, il était recouvert d’acier et possédait une armature montée sur ressorts car l’Autorité avait pensé à l’éventualité qu’il subisse un bombardement nucléaire).
Nous devions faire tout cela sans pour autant trop se précipiter.
C’est pourquoi nous avons mis un frein à ce qui pouvait ennuyer le Gardien, tout en accélérant le reste. Simon Jester a pris des vacances. Nous avons transmis la consigne que les bonnets phrygiens n’étaient plus à la mode, mais qu’il fallait quand même les conserver. Le Gardien n’a plus reçu d’appels téléphoniques exaspérants ; nous avons cessé de provoquer des incidents avec les dragons, ce qui ne les a pas supprimés complètement mais en a réduit le nombre.