Читаем Roses à crédit (Lecture à domicile) полностью

M’man Donzert, autrement dit Mme Georges préparait les tartines pour son mari, l’œil sur Martine, silencieuse. Cécile regardait Martine et l’heure ; elle travaillait dans une agence de voyages, comme sténodactylo. A eux quatre, ils gagnaient bien leur vie, et M. Georges payait facilement les traites de cet appartement et de la boutique de coiffeur pour hommes qui se trouvait au rez-de-chaussée de la même maison, une maison toute neuve, à la porte d’Orléans[62]. Mme Donzert, pardon, Mme Georges tenait la caisse[63] de la boutique, et il y avait deux garçons. Elle aurait préféré continuer son métier de coiffeuse, mais le local ne s’y prêtait pas, et elle n’aurait pour rien au monde voulu contrarier en quoi que ce fût son mari.

— Bon, dit M. Georges, pliant son journal. On descend, M’man Donzert ? Fillettes, fillettes dépêchez-vous…

Il ne pleuvait plus ce matin. Cécile et Martine prenaient l’autobus ensemble. Il y en avait toujours plusieurs, c’était le terminus, et elles choisissaient toujours les mêmes places. Le contrôleur leur souriait.

Cécile ne posait pas de questions. La veille, il était déjà trop tard quand Martine était rentrée et s’était assise sur le bord du lit de Cécile… Elle avait des yeux démesurés, qui ne voyaient rien. Tout ce que Cécile avait pu tirer d’elle était qu’elle avait rencontré Daniel et dîné avec lui dans une brasserie près de la gare Saint-Lazare. Elle s’était couchée sans faire sa toilette, chose extravagante, jamais arrivée depuis qu’elles partageaient leur chambre. Et c’était Cécile qui avait eu du mal à s’endormir en écoutant la respiration régulière de Martine. Cécile était à nouveau fiancée… Depuis Paul, celui du village, elle avait eu d’autres fiancés et toujours les fiançailles se trouvaient rompues pour une raison ou pour une autre. Cette fois c’était Jacques, un ouvrier de chez Renault[64], que Cécile avait rencontré chez une cousine de sa mère. M’man Donzert avait rêvé d’un autre gendre, mais puisque Cécile y tenait…

— Tu déjeunes avec Jacques ? demanda Martine, pour dire quelque chose avant de descendre : elles ne s’étaient pas dit un mot de tout le trajet, comme si elles avaient été fâchées. Jamais ni à l’école, ni depuis, il n’y avait pas eu une fâcherie entre elles[65].

— Oui… A ce soir Martine ?

— Oui, oui… à ce soir…

Elle ne revoyait donc pas Daniel ce soir.

Mme Denise, une femme très grande, mince et majestueuse, habillée de beige, les cheveux blancs, le visage jeune, allait et venait dans les salons, l’œil à tout et à la pendule : les premières clientes allaient arriver. Mme Denise était la directrice, le bras droit du grand patron qui n’apparaissait que rarement. Les employées se changeaient au vestiaire, et transformées en anges bleus gagnaient rapidement leurs cabines, y mettaient de l’ordre dans les pots, tubes, flacons, coton, gaze, crèmes, fards… Tout le reste était aspiré, aéré, lavé, essuyé, le linge changé, avec dans les placards des tas de serviettes, peignoirs, etc.

Martine entra dans la cabine quand la cliente étendue se reposait après le massage. Elle avait devant elle, sur le coussin, une main nue. Des doigts presque pointus, roses au bout. Le reste de la femme couchée sur le dos, enveloppée dans un grand drap éponge, était invisible, le visage couvert d’une serviette mouillée. A son chevet, Mme Dupont, l’esthéticienne, tripotait ses pommades, onguents, lotions… C’était le silence, la détente…

— Vous me les taillez en amande, n’est-ce pas ? dit la femme. Et à nouveau le silence…

— Je vous remets le même vernis ?

— Mme Dupont, libérez-moi un œil, s’il vous plaît !.. Mme Dupont enleva la serviette et la femme apparut…

Elle apparut avec l’éclat bleu-foncé de ses yeux, dans toute sa beauté. Elle sourit à Martine, sûre de son effet. C’est avec vénération que Martine mettait le vernis sur ces ongles taillés en amande. Elle avait de la chance de travailler ici, dans cet Institut de Beauté et si Daniel… Elle s’abîma dans ses rêves qui avaient maintenant une réalité vivante, effrayante comme toute réalité qu’on ne façonne pas comme un ongle, en amande, une réalité impossible à vernir… un homme qui agissait à sa guise. Les mains défilaient devant Martine souriante, affable. Il y eut le déjeuner, au réfectoire. Elle mangeait toujours souriante, mais prétextant un mal de tête[66] pour ne pas être obligée de prendre part aux conversations.

— Vous êtes pâlotte, Martine… lui dit Mme Denise qui avait un faible pour cette fille si jolie et si précise dans son travail, une employée modèle.

— Vous avez beaucoup de rendez-vous aujourd’hui ?[67]

— Toute la journée…

— Vous travaillez trop bien, tout le monde vous demande !..

Elle était bien habituée à son travail, Martine, à la maison, aux femmes autour d’elle, à Paris… Et si Daniel…

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