Читаем Roses à crédit (Lecture à domicile) полностью

Cécile et Martine couchaient dans la même chambre comme au village. Elles se déshabillaient les robes aussitôt pendues dans le placard, le linge de chacune sur une petite chaise Louis XV laqué, gris et recouvert d’un satin vert d’eau : on aimait beaucoup le vert d’eau dans la maison. Et puis comme Martine préférait le bleu ciel et Cécile le rose, cela faisait une moyenne[77]. Les couvre-lits étaient également verts d’eau en satin artificiel, matelassés. Aux murs il y avait les mêmes images qu’au village, des stars et starlettes. Il y avait une table de chevet entre deux lits, un petit fauteuil crapaud au chevet de chacune. Elles avaient chacune sa coiffeuse toute en miroir, et sur laquelle, en ordre parfait, étaient alignés des produits de beauté[78]. Et il y en avait ! Elles se servaient à la boutique de M. Georges, et puis, il y avait l’Institut de Beauté, d’où Martine rapportait toutes les nouveautés dans ce domaine.

Quand Martine avait terminé ses ablutions, Cécile était, comme d’habitude, déjà au lit. Elle éteignit.

— Je n’ai pas voulu le dire tout à l’heure… quand M. Georges racontait l’histoire de la princesse… dit Martine, mais je ne suis pas très bien couchée. Et toi ?

— Moi, ça va…

— Je me suis renseignée pour le matelas à ressorts… Quand je serai mariée, j’aurai un matelas à ressorts… Tu dors Cécile ?…

Cécile dormait. Martine retourna à Daniel. Ils avaient pris rendez-vous pour le samedi suivant, là-bas, sous les arcades. Daniel habitait au foyer de l’école à Versailles. Il ne lui avait pas proposé de la revoir tout de suite, le lendemain… Il était raisonnable, il faisait ses études raisonnablement, il n’avait pas l’intention de sécher des cours[79] pour elle. Il voulait bien la voir le samedi parce que même s’il rentrait tard, il pouvait dormir le lendemain. Elle, elle était prête à ne plus jamais dormir de sa vie, pour ne pas en perdre une miette ; pour voir Daniel, entendre sa voix, sentir ses lèvres sur sa main… Il n’avait même pas essayé de l’embrasser. Mais il fallait que Martine dormît pour Daniel, de quoi aurait-elle l’air ce samedi prochain… Et Martine s’endormit aussitôt.

<p>IX. AU SEUIL D’UNE FORÊT OBSCURE</p>

Daniel Donelle se rappelait bien Martine-perdue-dans-lesbois, assise sur une borne, à l’entrée du village : elle attendait, et il savait bien que c’était lui qu’elle attendait. Même à Paris, lorsqu’il l’avait rencontrée, sous les arcades, place de la Concorde, à la façon dont elle l’avait regardé sans un bonjour, on aurait pu croire que Daniel était en retard pour un rendez-vous qu’ils s’étaient donnés ici même ; et qu’elle boudait à cause de ce retard. Elle l’aurait sûrement suivi dès le premier soir, seulement l’idée ne lui en était pas venue. Une jeune fille si jeune fille, sans coquetterie, et une payse pardessus le marché[80]. Au village, cette enfant amoureuse qu’il voyait grandir, lui inspirait une sorte de respect. Pourtant, une nuit, devant le château embrasé, elle lui avait paru admirable. Alors troublé il lui avait dit : « Martine, je me serais bien perdu dans les bois avec toi… » Heureusement quelqu’un avait appelé : « Martine !.. » et le charme rompu il avait pris la route.

Dans cette brasserie, près de la gare Saint-Lazare où ils étaient allés le soir de leur première rencontre sous les arcades, il avait voulu lui parler de cet instant. Curieux[81], ce n’était pas si simple… Il parla d’abord de la fête, de l’élection de Miss Vacances, et comment Martine l’avait emporté sur toutes les candidates… Martine trouvait cette histoire ridicule. Pourquoi donc ridicule, ce n’est pas gentil qu’une bonne centaine de garçons, entre autres, vous assimilent au beau temps, à la liberté, au grand air, au ciel ?

— Les vacances, c’est les papiers gras.

— Des papiers gras, les vacances ? Daniel était scandalisé : Retenir des vacances les papiers gras ! D’ailleurs nos propres papiers gras sont des souvenirs de bons sandwichs, d’un déjeuner sur l’herbe…

Martine l’avait regardé curieusement :

— Vous avez de la chance de sentir ainsi. Moi je suis née dégoûtée.

Daniel n’avait pas insisté… Il était un peu dégoûté de cette fille.

— Ce soir, dit-il, ce n’était pas les vacances des papiers gras… Il y avait eu le château, blanc de lumières, et, soudain, la nuit… J’étais près de vous…

— Je me souviens.

Oui, elle l’aurait suivi, dès ce premier soir. Et lorsque, une nuit, au-dessus de la Seine, dans le noir et le froid, il l’eut embrassée, il se sentit tomber verticalement dans une passion profonde et noire comme la nuit. A l’entrée de cette nuit, à l’orée d’une sombre forêt, il y avait un appât et un danger mortel : Martine. Daniel Donelle avait le goût du risque et de l’aventure, cette fille l’attirait.

Martine l’avait suivi dans une chambre d’hôtel dès qu’il le lui avait demandé.

Перейти на страницу:

Все книги серии L'âge de nylon

Похожие книги

Армия жизни
Армия жизни

«Армия жизни» — сборник текстов журналиста и общественного деятеля Юрия Щекочихина. Основные темы книги — проблемы подростков в восьмидесятые годы, непонимание между старшим и младшим поколениями, переломные события последнего десятилетия Советского Союза и их влияние на молодежь. 20 лет назад эти тексты были разбором текущих проблем, однако сегодня мы читаем их как памятник эпохи, показывающий истоки социальной драмы, которая приняла катастрофический размах в девяностые и результаты которой мы наблюдаем по сей день.Кроме статей в книгу вошли три пьесы, написанные автором в 80-е годы и также посвященные проблемам молодежи — «Между небом и землей», «Продам старинную мебель», «Ловушка 46 рост 2». Первые две пьесы малоизвестны, почти не ставились на сценах и никогда не издавались. «Ловушка…» же долго с успехом шла в РАМТе, а в 1988 году по пьесе был снят ставший впоследствии культовым фильм «Меня зовут Арлекино».

Юрий Петрович Щекочихин

Современная русская и зарубежная проза