Читаем Roses à crédit (Lecture à domicile) полностью

Elle pénétrait dans le monde de Daniel bien plus facilement que lui dans le sien. Il se perdait dans les noms de ses amis de l’Institut de Beauté, confondait Mme Denise et Ginette, bien que Mme Denise la directrice fût une femme très distinguée, les cheveux blancs, le visage jeune, toujours impeccable… et que Ginette ne fût qu’une petite manucure comme Martine, c’est elle d’ailleurs qui lui avait appris le métier lorsque Martine était entrée à l’Institut de Beauté. Mme Denise était d’une bonne famille… Maintenant elle a un ami, représentant d’auto, ancien coureur[86], un type très chic, sûr qu’ils vont se marier…

Daniel s’ennuyait : que Mme Denise se marie ou non, lui était indifférent, il faut dire. Cécile et Mme Donzert réveillaient son attention, parce qu’il les connaissait un peu. Martine partageait la chambre de Cécile… L’appartement avait trois pièces, salle de bains et cuisine très modernes… un tapis dans l’escalier, l’ascenseur… impeccable ! Mais maintenant on construisait des maisons encore plus modernes. Cécile n’avait pas d’appartement pour se marier avec Jacques, ni d’argent pour en acheter un, même pas à crédit. M. Georges et M’man Donzert n’avaient pas fini de payer le leur.

Quand il eut entendu ces histoires une fois, deux, etc… elles perdirent de leur intérêt, même tombant des lèvres de Martine. Daniel les arrêtait en l’embrassant. Le monde de Martine était si petit, et elle ne voulait point l’agrandir. Et, par exemple, elle ne lisait jamais. Daniel avait fini par s’en apercevoir, il voulut savoir pourquoi.

— Les histoires des autres m’embêtent, dit-elle tranquillement, j’ai déjà assez de mal avec la mienne.

Daniel était stupéfait, il ne trouva rien à dire… Martine semblait ne pas savoir ce que c’était que l’art. Curieux, Daniel l’avait emmenée à une exposition dans une galerie de tableaux, il y avait des œuvres classiques et modernes. Qu’allait-elle aimer là-dedans ?

— Rien, dit Martine, j’aime mieux la toile sans peinture dessus, lisse, propre…

Daniel était encore stupéfait. Formidable, cette négation de l’art, à l’état pur ! Martine était quelqu’un d’exceptionnel. Et combien étrange était l’emportement avec lequel elle disait : « C’est beau ! » devant une devanture où étaient exposés des objets pour orner les intérieurs. Martine aimait ce qui était neuf, poli, verni, net, lisse, « impeccable » ! Daniel avait découvert cela et la taquinait là-dessus. Il lui disait qu’elle était une affreuse, une adorable, une parfaite, une impeccable petite bourgeoise ! Dans ses goûts esthétiques bien sûr… Parce que pour la force des sentiments, la liberté, elle était une femme véritable. Alors son ignorance de l’art, sans précédent, son goût de la camelote en même temps ne jouaient aucun rôle… Daniel était en extase devant ce que Martine avait pour lui d’inédit, et, par là même, de mystérieux… Dire que même dans la nature Martine était touchée par l’impeccable, par le ciel, le soleil, la lune. Une fois Daniel lui demanda :

— Alors, si je perdais mes cheveux, ou si je prenais du ventre[87]… ou s’il m’arrivait un accident, ou si, simplement, il y avait la guerre et que je rentre défiguré ?…

— Toi… Toi tu es le commencement et la fin. Toi tu pourrais te rouler dans l’ordure… Je te laverais, répondit Martine.

C’est cette petite conversation qui décida de tout. Daniel était un personnage romanesque, un savant, mais aussi un paysan. Comme les paysans, ses aïeux, il construisait sa vie de façon qu’elle tînt, avec des gros murs, du chêne, des poutres énormes… L’amour de Martine était fait d’un matériau impérissable, tel qu’on en concevait jadis.

<p>X. L’UNI-PRIX<a l:href="#n_88" type="note">[88]</a> DES RÊVES</p>

M’man Donzert pleura. De soulagement, d’attendrissement. Depuis un an que cela durait, la maison était écrasée sous le poids d’un secret, le poids du silence sur ce que chacun savait. Et voilà que Martine annonçait son mariage avec Daniel Donelle ! M. Georges baisa les mains de toutes les femmes et Cécile, les joues en feu, les yeux humides, regardait Martine comme si elle ne l’avait jamais vue.

A l’Institut de Beauté aussi, l’annonce des fiançailles avait fait sensation… Mme Denise fit apporter du Champagne. Il y avait déjà trois ans que la petite Martine était entrée dans la maison et l’on n’avait qu’à s’en Jouer. Mais qui était l’heureux élu ? On grillait de curiosité[89]. Étudiant ?

Il sera ingénieur-horticole. Il s’occupera de roses ?… C’est extraordinaire ! Et c’est une famille où c’est comme ça de père en fils ! Son fiancé apprenait à créer des roses nouvelles comme on crée des robes, expliquait Martine. Dieu, que c’est étrange… On trouvait aussi que Daniel Donelle était un joli nom. Et à quand le mariage ? Déjà cet été ? « Vous m’inviterez bien à la noce ? » dit Mme Denise au comble de la gentillesse.

Le lendemain, Martine reçut une immense corbeille de roses venant du fleuriste le plus chic de Paris, avec une carte portant les signatures de tout le personnel de l’Institut de Beauté.

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