Читаем Roses à crédit (Lecture à domicile) полностью

Une Reine-mère pour marier son fils voulait une vraie princesse… alors les filles qui se présentaient, les candidates fiancées, elle leur faisait passer une épreuve : elle les gardait à coucher, et sur un beau lit faisait échafauder des matelas, l’un plus moelleux que l’autre… Il y en avait tant et tant, que la fille qui voulait épouser le prince et se disait princesse authentique, se trouvait tout en haut, sous le ciel de lit[72] en satin bleu… Or, entre le sommier et tous les matelas, la Reine-mère glissait un petit pois, un seul tout petit pois. Le lendemain matin elle venait réveiller la jeune fille et lui demandait : « Avez-vous bien dormi, Princesse, le lit est-il bon ? » Et toutes les prétendantes répondaient : « Oh, oui, Madame la Reine, Votre Majesté, j’ai fort bien dormi, ce lit est du duvet… » Alors la Reine-mère disait : « Allez-vous en ! Vous n’êtes pas une vraie princesse ». Enfin, un jour, arrive au Palais une fillette… Elle portait une robe de coton et des sabots, ses longs cheveux tressés faisaient deux fois le tour de sa tête, son tour de taille égalait son cou, et elle avait les yeux comme deux soleils… « Je suis une princesse lointaine, dit-elle à la Reine, et je veux, Madame, me marier avec votre fils, parce que je l’ai toujours aimé, depuis que, toute petite, j’ai vu son portrait… »

— Dans Match ?[73] fit Cécile rieuse, mais les autres lui firent : Cht-t-t!

— Comme vous y allez ![74] répondit la Reine-mère. Mon fils est encore plus beau que son portrait dans Match, et vous, ma fille, vous n’êtes qu’une gardeuse d’oies ! Je veux pourtant vous faire passer la nuit au Palais, histoire de rire[75]… » On conduisit la petite avec sa robe de coton et ses sabots dans la chambre somptueuse, où le lit était déjà fait, avec tous ses matelas, ses beaux draps en dentelles et le petit pois glissé entre le sommier et les matelas. Les femmes de chambre déshabillèrent la petite, défirent ses grands cheveux d’or qui tombaient jusqu’à terre. Habillé de ses cheveux seuls, l’enfant monta l’échelle qu’il fallait appuyer contre le lit, pour se hisser à son sommet…

Le téléphone, grossier comme toujours, vint couper la parole à M. Georges.

Martine laissa tomber la main de Cécile… Vas-y, toi, dit-elle très bas. Cécile courut dans le petit vestibule :

— Allô ! Allô ! Oui, oui, Jacques, c’est moi…

Mais la porte se fermait, elle l’avait repoussée du pied, et sa voix disparut : elle devait parler très bas…

— Depuis le temps qu’elle fréquente ce garçon, il serait temps qu’il fît sa demande officiellement[76]… dit Mme Donzert.

Décidément M’man Donzert était très nerveuse ce soir-là. Tout le monde se taisait, attendant Cécile. Elle ne fut pas longue, et s’asseyant à nouveau devant Martine, pâle et immobile, lui tendit sa main :

— Alors, Père, continue…

— Bon… — M. Georges réfléchit un instant et continua : — La voilà donc sous le ciel du lit, toute petite dans ses grands cheveux… On tire les rideaux du lit, on éteint les lumières et tout le monde s’en va. La nuit descend sur le Palais… Une longue nuit noire. Le matin, la Reine-mère, entourée de toutes ses femmes d’honneur, fait son entrée dans la chambre à coucher. On ouvre les rideaux de satin blanc, brodé d’étoiles d’argent, qui tombent du ciel de lit, et l’on découvre un lit tout défait, les draps de travers, les couvertures qui pendent, et là-haut, là-haut la petite, les cheveux emmêlés sur les oreillers bouleversés, toute pâle, les cernes autour de ses yeux immenses… Avant qu’on ait pu lui poser une seule question sur la raison de tout ce désordre la voilà qui éclate en sanglots, et on entend sa petite voix : « Je vous demande pardon, Majesté… mais j’ai passé une nuit atroce, je n’ai pas fermé l’œil, j’ai mal partout. Je ne sais ce qu’il y a dans ce lit, on dirait un pavé, un roc, juste au niveau des reins, c’est simplement horrible… Cela n’aurait pas été pire si j’avais couché sur un tas de cailloux !.. » — « Dans mes bras ! s’écria la Reine-mère, voilà une vraie princesse ! Je te donne mon fils, le Prince, pour mari. Soyez heureux ! » Le Prince vint saluer la Princesse, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…

— C’est bien beau ça, mais je n’ai pas de prince à ma disposition pour en donner un à chacune de mes princesses sur le petit pois… dit tristement Mme Donzert. Et elle se leva pour aller à la cuisine ; c’était l’heure de l’infusion qu’on avait l’habitude de prendre avant de se mettre au lit. Elle cria aux deux filles :

— Reposez-vous, mes enfants, ne bavardez pas trop tard…

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Юрий Петрович Щекочихин

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