Читаем Roses à crédit (Lecture à domicile) полностью

Elle devait ce soir dîner chez M’man Donzert. Martine s’assit sur le lit, sans allumer, et se mit à attendre l’heure de partir en mangeant du chocolat. Elle pouvait manger à n’importe quelle heure, n’importe quoi. Sa commode était bourrée de sucreries, de biscuits, et elle se levait la nuit pour aller chercher un bout de pain, un morceau de sucre, du fromage, une sardine… La pendule du salon sonna sept heures. Elle pouvait y aller.

Chez M’man Donzert, on l’attendait, il y avait des fleurs sur la table, ses plats préférés… On la voyait si rarement, c’était une fête que de l’avoir ! disait M. Georges. Dommage que Cécile et Pierre n’aient pas pu être des leurs[297], Pierre venait de signer un contrat important avec une firme étrangère, et avait invité les représentants de cette dernière à dîner ? M’man Donzert embrassait Martine à tout bout de champ.

— M’man Donzert, aujourd’hui on pourrait se payer une bonne pinte de larmes[298] si on y tenait… — dit Martine, mangeant avec appétit du saucisson chaud aux pommes de terre en salade. Elle sortit de son sac la lettre du notaire et la tendit à M. Georges.

M. Georges posa sa fourchette et lut la lettre à haute voix. Martine mangeait. M’man Donzert, près de la cuisinière, s’essuyait les larmes ; elle faisait des beignets aux pommes[299].

— Que Dieu ait son âme… — dit M. Georges. — Je ne l’ai pas connue, et c’était m’a-t-on dit une grande pécheresse…

— Savez-vous, Monsieur Georges, interrompit Martine, qu’on m’a emporté aujourd’hui mon salon en rotin ?

M. Georges ne broncha pas :

— Comment ça ? dit-il seulement.

— Je n’ai pas pu payer les échéances… Trois traites.

— Mais tu aurais dû nous le dire ! s’écria M’man Donzert laissant là ses beignets, — on t’aurait donné le nécessaire, voyons, Martine ! Une chose après l’autre… J’en suis malade…

— Je n’ai pas voulu faire mentir M. Georges. Il m’avait dit dans le temps, que je resterais avec ma lessiveuse rouillée…

— Je n’étais pressé de voir ma prédiction s’accomplir.

M. Georges essayait de blaguer.

— Quelle lessiveuse ? grondait M’man, Donzert, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Tu fais exprès pour te rendre aussi malheureuse que possible ! Et Cécile et nous, on t’aurait donné ce qu’il te fallait… Tu n’es qu’une sotte ! Passe-moi ton assiette, les beignets sont à point[300].

Martine avait menti : le salon en rotin n’avait pas bougé de son appartement, bien trop endommagé le jour où elle avait eu sa crise… D’ailleurs, Daniel avait payé les dernières échéances et le salon était bien à elle. C’était par pure méchanceté qu’elle avait inventé cette fable, elle savait bien que cela ferait de la peine à M. Georges et à M’man Donzert…

— C’est vrai… Ils sont à point ! Je n’ai jamais pu les réussir comme vous, M’man Donzert. Ce que j’ai pu bouffer ![301] On prend le café au salon ?

Elle se leva. M’man Donzert s’était arrêtée de remuer les assiettes et les casseroles et la regardait avec désapprobation :

— Tu engraisses trop… dit-elle. Tu devrais faire un peu attention. J’ai fais une tarte, mais peut-être vaudrait-il mieux…

— Voulez-vous rire ! Moi, me priver !..

Martine riait, et M’man Donzert ne dit plus rien : elle n’aimait pas cette nouvelle façon qu’elle avait de rire. Ce rire lui faisait aussitôt penser à la « maison de santé »… Pauvre Martine…

Ils passèrent au salon.

— C’est vrai que j’ai un peu engraissé, reprit Martine, ça plaît aux hommes ! Jamais les hommes ne m'ont couru après comme maintenant…[302]

M. Georges et M’man Donzert la laissaient parler… Elles pouvaient être vraies, ces histoires, mais cela lui ressemblait si peu de les raconter et elles sonnaient si faux…

— Vous ne m’avez rien dit sur ma nouvelle coiffure, papotait Martine, n’est-ce pas qu’elle est ravissante ?

Les cheveux de Martine, coupés très court, en chien fou faisaient des franges de tous les côtés.

— Ça te cache ton joli front, dit M. Georges, je n’aime pas cette nouvelle mode.

— Je crois que vous n’aimez que le démodé… Vous êtes un peu comme Daniel. Il cherchait le parfum des roses anciennes.

Il y eut un silence. M’man Donzert fit un effort :

— Où vas-tu passer les vacances ? Tu ne veux pas venir avec Cécile et avec nous, dans le Midi ? Pierre a loué une villa…

— Je crois qu’avec cette lettre du notaire, il me faudra tout d’abord aller au village… Et qui sait, peut-être que je m’y plairai tant que j’y retournerai pour les vacances… C’est ma petite patrie ! Il y a la baignade… Et la cabane, n’oublions pas la cabane ! Une villégiature impeccable ![303] Non, cette histoire de succession… Il y a de quoi mourir de rire !

Martine suçait un sucre. Elle avait déjà mangé presqu’à elle seule la tarte et tous les sablés[304] que M’man Donzert avait faits avec le restant de la pâte.

<p>XXX. SPARGE, PRECOR, ROSAS SUPRA MEA BUSTA, VIATOR<a l:href="#n_305" type="note">[305]</a></p>
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Юрий Петрович Щекочихин

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