Je l’ai vu couler, ce sang si beau, si vermeil, j’ai vu se marier son doux vermillon `a la blancheur 'eblouissante du plus joli pied du monde, de la jambe la mieux arrondie que j’aie eu le bonheur de voir de ma vie. Oui, Madame, j’'etais ravi, extasi'e; et un moment apr`es je vous en voulais mortellement. Peut-on m'enager si peu une sant'e pr'ecieuse comme vous le fa^ites? Et pourquoi? pour le vain plaisir de braver les dangers, ou plut^ot, si j’ose le deviner, pour le plaisir de narguer tout le monde. J’ai pouss'e jusqu’`a l’imprudence le tendre int'er^et que je vous porte. Grondez-moi, Madame! j’ai perdu le t^ete, j’ai 'et'e b^ete, je ne comprenais plus ce que je disais. Et quel en fut le prix? Madame m’a refus'e une manche qu’elle-m^eme m’avait promis un instant d’avance. Ah! si vous voulez me faire perdre le souvenir p 'enible de ce refus, consentez 'a me faire une gr^ace que je vous demande au nom de cet amour qui me consume: c’est de me remettre l’appareil ensanglant'e qui a 'et'e mis sur votre pied apr`es la saign'ee.
Je le porterai souvent sur mon c oeur et peut-^etre parviendra-t-il `a soula-ger les peines que ce pauvre coeur endure. Le sang frais et pur a toujours eu la vertu de neutraliser les effets d'evorants d’un poison lent et infaillible.
Je crus remarquer quelque chose de sinistre dans les regards de M. le Bel-vison: se pourrait-il? Non, loin de moi cette id 'ee, elle me serre le coeur.
Une mis 'erable petite conqu^ete comme celle de mon pauvre individu, ne peut flatter personne: aussi je ne m'erite pas qu’on me m'enage: on peut me per-mettre d’attraper l’ombre du bonheur quand on n’a rien de mieux `a faire. Mais je me rappelle bien que vous m’avez autoris'e `a vous suivre partout. Oui, Madame, je vous suivrai comme votre ombre, je vous suivrai partout, au risque d’^etre soufflet'e ou chass'e par vous. Foi d’homme d’honneur, je le ferai (sauf de blesser les convenances) et je vous r'ep'eterai sans cesse
Une journ 'ee enti`ere sans vous voir, Madame! jugez de ma peine cruelle! Depuis quelque temps je suis si accoutum'e, si heureux d’^etre pr`es de vous, que tous les instants que je passe loin de vous me semblent perdues pour mon existence. H'elas! je me cr'ee un bonheur bas'e sur m a perte! je m’enivre dans une coupe dont le fond contient ma mort.